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Reconstruction faciale par IA : une avancée pour identifier les victimes de catastrophes

Quand les méthodes classiques d’identification atteignent leurs limites… En médecine légale, l’identification repose sur trois méthodes dites « primaires » : l’analyse génétique (ADN), les empreintes digitales et l’odontologie. Leur fiabilité n’est plus à démontrer, mais leur efficacité dépend des conditions dans lesquelles se trouvent les corps et de la disponibilité de données de comparaison. Dans les catastrophes de grande ampleur (séismes, crashs aériens, attentats), les cadavres peuvent être brûlés, mutilés ou décomposés, rendant l’ADN ininterprétable et les empreintes digitales illisibles. Dans d’autres cas, la difficulté vient de l’absence d’éléments ante-mortem : pas de dossier dentaire, pas d’enregistrement biométrique, voire aucun rattachement administratif officiel. Ces situations laissent les experts médico-légaux dans une impasse. C’est précisément dans ce contexte que des technologies innovantes, comme la reconstruction faciale par intelligence artificielle, ouvrent de nouvelles perspectives.

Une innovation issue de l’Université de Panjab

Avec la collaboration d’Ankita Guleria et de Vishal Sharma, le professeur Kewal Krishan a mis au point une méthode novatrice de reconstruction faciale assistée par intelligence artificielle. Leur modèle repose sur l’étude de trois structures osseuses réputées pour leur résistance aux altérations post-mortem : la mandibule, la mâchoire supérieure et la dentition. Ces éléments constituent une véritable empreinte morphologique, puisqu’ils influencent directement la largeur du menton, la proéminence des pommettes, la forme générale du visage et la position des lèvres.

En combinant ces données anatomiques avec une vaste base de mesures anthropométriques collectées auprès des populations du nord de l’Inde, les chercheurs ont réussi à entraîner un algorithme capable de générer un visage numérique dont l’apparence se rapproche fortement de celle de l’individu réel. Le résultat est impressionnant : une précision estimée à 95 %, ce qui représente un taux exceptionnel pour une méthode indirecte d’identification post-mortem. Cette innovation n’a pas tardé à attirer l’attention : elle a été officiellement enregistrée et protégée par le Copyright Office indien, ce qui souligne à la fois sa valeur scientifique et son caractère novateur sur le plan technologique.

Une précision remarquable mais des limites incontournables

Le chiffre de 95 % ne doit pas être compris comme la capacité de l’intelligence artificielle à produire un portrait photographique parfait. Il signifie plutôt que, dans la grande majorité des cas, les traits générés par l’algorithme correspondent étroitement à ceux de la personne réelle. Concrètement, le modèle restitue avec une grande fidélité les proportions générales du visage, assure une cohérence avec les principales caractéristiques morphologiques et parvient à créer une ressemblance suffisante pour orienter efficacement les recherches vers une identification ciblée.

Il convient toutefois de rappeler que cette technologie conserve une marge d’incertitude. Les tissus mous, tels que l’épaisseur des lèvres, la forme précise du nez, la texture de la peau ou encore les marques distinctives comme les rides et les cicatrices, ne peuvent pas être déduits uniquement de la structure osseuse. À cela s’ajoute une limite méthodologique : l’algorithme ayant été entraîné sur une population spécifique du nord de l’Inde, son efficacité pourrait diminuer lorsqu’il est appliqué à d’autres groupes ethniques ou géographiques.

Ces éléments montrent que la reconstruction faciale par intelligence artificielle doit être considérée avant tout comme un outil complémentaire, capable d’orienter et de soutenir le travail des experts, mais sans prétendre remplacer les méthodes primaires d’identification en médecine légale.

Enjeux éthiques et juridiques de la reconstruction faciale

L’usage de l’intelligence artificielle dans l’identification des victimes soulève des questions éthiques, juridiques et réglementaires qui ne peuvent être ignorées. Sur le plan éthique, la manipulation de données biométriques post-mortem exige une vigilance particulière. Restituer un visage à partir de restes humains ne doit jamais se faire au détriment de la dignité des défunts ni heurter la sensibilité des familles, d’autant que ces reconstructions, même lorsqu’elles sont scientifiquement solides, peuvent être perçues comme intrusives si elles sont diffusées sans précaution.

Sur le plan juridique, une autre interrogation se pose : Quelle valeur probante peut avoir une reconstruction faciale générée par une IA devant un tribunal ? Tant que les procédures n’ont pas défini le rôle exact de cet outil, son usage restera cantonné à une fonction d’orientation plutôt que de preuve formelle. La question des responsabilités, en cas d’erreur d’identification, reste également entière.

Enfin, sur le plan réglementaire, l’Europe impose un cadre strict. De telles applications devront se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD) et entrer dans le champ du règlement européen sur l’intelligence artificielle, qui encadre spécifiquement les usages considérés comme « à haut risque ». Autrement dit, la diffusion de cette technologie en contexte médico-légal dépendra autant de son efficacité scientifique que de sa capacité à s’inscrire dans un cadre légal clair et protecteur.

Quelles perspectives pour l’identification de victimes ?

Malgré ces contraintes, les perspectives offertes par la reconstruction faciale assistée par IA demeurent particulièrement encourageantes. Dans le cadre de catastrophes de masse, cette technologie pourrait être intégrée en complément des analyses ADN ou odontologiques afin d’accélérer le processus d’identification et de réduire le temps d’attente des familles. Elle pourrait aussi se révéler utile dans certaines enquêtes criminelles complexes, lorsqu’un corps est trop endommagé pour permettre l’exploitation des identifiants primaires. Enfin, elle ouvre des horizons en archéologie et en anthropologie, où elle permettrait de restituer l’apparence d’individus anciens dépourvus de traces génétiques exploitables.

Cette avancée témoigne de la rencontre croissante entre l’intelligence artificielle et les sciences médico-légales. Elle ne prétend pas remplacer les méthodes classiques d’identification, mais elle enrichit l’arsenal des experts en leur offrant une chance supplémentaire de redonner une identité à des victimes restées jusque-là anonymes.

Sources :

  • Guleria A., Krishan K., Sharma V. Methods of forensic facial reconstruction and human identification: historical background, significance and limitations. The Science of Nature, 110 (2023).
  • Guleria A. et al. Assessment of facial and nasal phenotypes: implications in forensic facial reconstruction. Archives of Biological Sciences, mars 2025.
  • Panjab University develops AI-based facial reconstruction models with up to 95 % accuracy using jaws and teeth dimensions. Indian Express, juillet 2025, consultable ici.
  • Panjab University secures copyright for AI tech that reconstructs faces from jaws. Hindustan Times, publié le 27 juillet 2025

Une loutre enquêtrice pour la recherche de corps immergés

Aux États-Unis, une loutre nommée Splash a été entraînée pour repérer des cadavres immergés grâce à son odorat hors du commun. Une initiative inédite en criminalistique qui ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche de corps dans les fleuves et les rivières. Alors qu’en France, quatre corps ont été découverts récemment dans la Seine, ce protocole pourrait inspirer les brigades fluviales de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale et renforcer l’efficacité des enquêtes judiciaires.

Les animaux au service de la criminalistique

Depuis des décennies, les animaux jouent un rôle majeur dans les enquêtes judiciaires et dans la police scientifique (Cf. odorologie et empreinte olfactive). Les chiens de recherche de cadavres sont aujourd’hui indispensables dans les enquêtes judiciaires : ils repèrent les effluves liés à la décomposition humaine et aident à localiser des corps enterrés ou dissimulés. Mais dans l’eau, ces méthodes se heurtent à de sérieuses limites : visibilité réduite, courants forts, profondeur variable. C’est dans ce contexte qu’est née une idée novatrice en Floride : confier cette mission à un animal parfaitement adapté à l’environnement aquatique. La loutre, agile, rapide et dotée d’un odorat exceptionnel, s’est imposée comme candidate idéale. L’association Peace River K9 Search & Rescue a ainsi lancé un programme inédit en entraînant Splash, une loutre cendrée devenue la première « loutre enquêtrice » au monde.

Un protocole d’entraînement inédit : des bulles d’air pour simuler un cadavre

L’entraînement de Splash repose sur un protocole précis et rigoureux. Dans le jardin de son dresseur, des piscines ont été aménagées pour créer un environnement contrôlé. L’eau y est imprégnée de bulles d’air contenant des composés organiques volatils, similaires à ceux émis par un corps humain en décomposition.

La mission de la loutre est claire : repérer ces bulles invisibles à l’œil humain. Lorsqu’elle identifie l’odeur, elle alerte immédiatement son dresseur en tirant sur le masque qu’il porte. Ce signal, simple mais efficace, permet de confirmer la présence d’une « cible ». Ce concept repose sur une capacité étonnante et encore peu étudiée : la loutre peut littéralement « goûter » les bulles d’air sous l’eau, et y détecter chimiquement des marqueurs spécifiques. Là où les plongeurs et les chiens rencontrent des limites, la loutre excelle grâce à son aptitude naturelle à évoluer dans des environnements complexes et opaques.

La loutre au service des enquêtes judiciaires

La police scientifique américaine suit de près ce projet. Le FBI et le Florida Department of Law Enforcement ont déjà exprimé leur intérêt pour cette méthode, qui pourrait accélérer les recherches lors d’enquêtes criminelles ou de catastrophes naturelles. Les applications sont multiples :

  • Retrouver des victimes de noyades, d’homicides ou de crues soudaines dans des lacs, étangs, fleuves ou rivières.
  • Localiser rapidement un corps immergé dans des zones à faible visibilité.
  • Compléter les moyens déjà existants (plongeurs, sonars, chiens).

Pour les enquêteurs et magistrats, ce gain de temps est crucial : la découverte d’un corps immergé peut fournir des preuves essentielles (traces de violences, analyses médico-légales) avant que les corps ne se dégradent davantage permettant d’orienter rapidement l’enquête judiciaire.

Et si la France s’inspirait de Splash ?

En France, la découverte de quatre corps dans la Seine le 13 août 2025 à Choisy-le-Roi (94) a rappelé à quel point la recherche de cadavres immergés reste complexe. Les brigades fluviales de la Gendarmerie Nationale et Police Nationale mobilisent déjà plongeurs, sonars et chiens pour localiser les victimes. Mais malgré ces moyens, certaines affaires demeurent non résolues faute de découverte de corps. L’utilisation d’animaux comme les loutres pourrait constituer un outil complémentaire. Leur odorat, leur rapidité et leur capacité à évoluer en immersion pourraient augmenter les chances de découverte, notamment dans un fleuve comme la Seine, où la visibilité est quasi nulle et où les courants entraînent parfois les corps loin de leur point d’immersion. Un tel dispositif pourrait aussi être utile dans d’autres contextes : barrages, canaux, grands étangs. En matière d’homicides ou de disparitions inquiétantes, chaque technologie ou protocole susceptible d’accélérer la localisation d’un corps représente un atout majeur pour l’enquête judiciaire.

Limites et questions éthiques

Si la méthode suscite l’intérêt, elle soulève aussi plusieurs questions. Former des loutres demande du temps, une expertise spécifique et une éthique irréprochable en matière de bien-être animal. L’intégration dans les dispositifs officiels nécessiterait des protocoles stricts, une validation scientifique et un cadre juridique adapté. Cependant, comme pour les chiens de recherche, les avantages sont tels qu’il ne parait pas illusoire d’imaginer une adoption progressive de cette approche. Les enquêteurs, confrontés à des affaires sensibles (homicides, disparitions), savent combien chaque outil supplémentaire peut s’avérer décisif.

Conclusion

L’histoire de Splash illustre une nouvelle synergie entre nature et criminalistique. Là où la technologie et les plongeurs atteignent leurs limites, les animaux, dotés de sens exceptionnels, rappellent que la police scientifique peut aussi puiser dans le vivant. Si l’hypothèse d’intégrer des loutres aux recherches de la brigade fluviale peut sembler atypique, elle représente néanmoins une piste sérieuse : accroître l’efficacité des investigations et améliorer les chances de retrouver rapidement des corps immergés.

Références :

  • IFLScience – Meet Splash, the world’s first search-and-rescue otter hunting for missing people in Florida, consultable ici.
  • Popular Science – This otter is training to be a search and rescue diver, consultable ici.
  • Interesting Engineering – US otter trained for underwater search and rescue, consultable ici.

La détection du rythme cardiaque comme outil anti-deepfake

Les vidéos truquées générées par intelligence artificielle, les deepfakes, deviennent de plus en plus réalistes, menaçant l’intégrité des preuves numériques. Pour répondre à ce défi, des chercheurs néerlandais ont développé une méthode innovante permettant de détecter les deepfakes à partir d’un paramètre biologique jusqu’ici négligé : le rythme cardiaque. Cette approche, encore en validation scientifique, pourrait devenir un outil précieux dans les enquêtes forensiques numériques.

Un signal biologique impossible à falsifier ?

À l’origine de cette innovation se trouve une équipe du Netherlands Forensic Institute (NFI), en collaboration avec l’Université d’Amsterdam. Leur méthode repose sur une technique nommée photopléthysmographie à distance (rPPG), qui permet de détecter les variations subtiles de couleur sur la peau du visage, notamment au niveau du front, des yeux ou de la mâchoire, causées par le passage du sang à chaque battement cardiaque. Or, les algorithmes générant les deepfakes actuels ne sont pas capables de simuler ces infimes variations de manière cohérente, ce qui ouvre une nouvelle voie pour identifier les falsifications.

Une idée relancée par les progrès technologiques

L’idée germe dès 2012, lorsque le professeur Zeno Geradts s’intéresse à des vidéos dans le cadre d’affaires criminelles afin de déterminer si les personnes filmées étaient effectivement décédées. À l’époque, une étude du MIT montrait qu’il est possible de détecter le rythme cardiaque à partir d’une vidéo faciale, mais les compressions vidéo rendaient ce signal inutilisable. Aujourd’hui, les technologies de compression préservent mieux les micro-variations visuelles. L’équipe du NFI a pu identifier 79 points faciaux d’intérêt où mesurer ce signal, qu’ils ont ensuite comparé à des données biométriques issues de capteurs cliniques ou de montres connectées. Les résultats sont prometteurs, même si certaines limites subsistent, notamment sur les peaux foncées.

Figure 1. Schéma de principe de la rPPG.
L’absorption et la réflexion de la lumière par la peau varient en fonction de l’état hémodynamique sous des sources lumineuses (lumière du soleil, lampes, etc.). Ces variations sont enregistrées par des dispositifs d’imagerie (caméras, webcams, objectifs de smartphones, etc.) sous forme de vidéos ou d’images. Grâce à une analyse algorithmique, il est possible d’extraire à partir de ces vidéos des courbes rPPG représentant des informations physiologiques.

Un outil complémentaire pour l’expertise numérique

La détection du rythme cardiaque ne remplace pas les méthodes d’authentification existantes, mais apporte une dimension supplémentaire précieuse à l’examen forensique des vidéos. D’autres approches restent cruciales dans le processus d’authentification, comme l’analyse des fréquences du réseau électrique (ENF) contenues dans les images, l’identification du capteur d’enregistrement via son empreinte numérique (PRNU), ou encore les analyses visuelles ou automatisées de clignements, de mouvements anormaux ou d’artéfacts de génération (comme les 6 doigts d’une main). En combinant ces méthodes, les experts peuvent renforcer la fiabilité des conclusions et anticiper les nouvelles tactiques des faussaires.

La robustesse vient toujours de la combinaison des méthodes classiques et IA, et non d’un outil unique.

Un jeu du chat et de la souris technologique

Face à ces nouvelles méthodes de détection, les concepteurs de deepfakes chercheront à les contourner. Il est probable qu’à l’avenir, des algorithmes tenteront d’ajouter artificiellement des signaux biologiques comme le rythme cardiaque dans leurs fabrications. Une veille technologique permanente s’impose pour maintenir une longueur d’avance. Comme le souligne Geradts, la robustesse vient toujours de la combinaison des méthodes classiques et IA, et non d’un outil unique.

Vers une intégration judiciaire ?

Cette approche n’est pas encore utilisée sur le terrain : elle est en cours de validation scientifique, avec une publication académique attendue dans les mois à venir. Mais les chercheurs espèrent que, dans des cas spécifiques, notamment avec des vidéos de haute qualité, cette méthode pourra rapidement être mise en œuvre. Une nouvelle voie prometteuse est alors ouverte dans la lutte contre la manipulation des preuves numériques, en s’appuyant sur une vérité difficile à contester : la physiologie humaine.

Références :

  • Geradts, Z., Pronk, P., & de Wit, S. (2025, mai). Heartbeat detection as a forensic tool against deepfakes. Présentation à l’European Academy of Forensic Science Conference (EAFS), Dublin.
  • Computer Weekly. (2025, 24 juillet). Dutch researchers use heartbeat detection to unmask deepfakes. Consulté ici.
  • ForensicMag. (2025, 30 mai). Scientist Develops Method to Use Heartbeat to Reveal Deepfakes. Consulté ici.
  • Amsterdam AI. (2025, 27 mai). Hartslaganalyse helpt deepfakes te ontmaskeren. Consulté ici.
  • DutchNews.nl. (2025, 25 mai). Dutch forensic experts develop deepfake video detector using heartbeat signals. Consulté ici.
  • Poh, M.-Z., McDuff, D., & Picard, R. W. (2010). Advancements in non-contact, automated cardiac pulse measurements using video imaging. Massachusetts Institute of Technology (MIT) Media Lab.

ADN de contact : une nouvelle approche pour mieux comprendre les traces laissées

Dans le cadre des enquêtes criminelles, l’analyse de l’ADN joue un rôle central pour identifier les auteurs de crimes et délits. Mais toutes les traces biologiques ne livrent pas les mêmes informations. L’ADN de contact, c’est-à-dire celui qui est laissé involontairement sur une surface après un simple toucher, demeure difficile à interpréter pour les experts en police scientifique.

Pourquoi certaines personnes laissent-elles plus d’ADN que d’autres ? Une étude récente, menée par l’équipe de la Flinders University en Australie, propose une méthode innovante pour objectiver cette variabilité. En s’intéressant à la propension individuelle à libérer des cellules cutanées, les chercheurs ouvrent de nouvelles perspectives en génétique forensique et en interprétation des traces sur les scènes d’infraction.

Une variabilité interindividuelle bien réelle

Certains individus, qualifiés de « bons donneurs », laissent naturellement une grande quantité de cellules de peau sur les objets qu’ils manipulent. D’autres, à l’inverse, n’en déposent que très peu. Cette différence, longtemps observée par les biologistes forensiques, complique la lecture des résultats ADN, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer la plausibilité d’un contact direct entre une personne et un objet.

Jusqu’à présent, il était difficile de quantifier cette variabilité de manière fiable et reproductible. C’est précisément ce que propose l’étude australienne, en fournissant un protocole scientifique rigoureux.

Un protocole de mesure simple et reproductible

Les chercheurs ont mis au point un protocole basé sur une série de contacts contrôlés réalisés par 100 participants, tous invités à toucher une surface standardisée. Les cellules déposées sont ensuite :

  • Colorées par un marqueur fluorescent,
  • Comptées par microscopie,
  • Soumises à une analyse génétique pour confirmer la présence d’ADN exploitable.

Résultat : pour 98 des 100 individus testés, le niveau de dépôt cellulaire s’avère stable et reproductible dans le temps. Ce protocole permet de classer les individus selon trois profils : fort, modéré ou faible donneur de cellules cutanées.

Un outil pour mieux contextualiser les traces ADN de contact

L’intérêt de cette méthode dépasse le simple cadre de la biologie. Elle peut devenir un outil de contextualisation judiciaire. Par exemple : Un suspect classé comme fort donneur pourrait expliquer la présence importante de son ADN sur un objet sans qu’il ait participé à l’infraction. À l’inverse, l’absence d’ADN chez un individu faiblement émetteur ne suffit pas à écarter l’hypothèse d’un contact.

Cette information pourrait être intégrée dans le calcul des rapports de vraisemblance utilisés en interprétation génétique, apportant ainsi plus de robustesse aux expertises judiciaires.

Quelles perspectives pour la police scientifique ?

La méthode proposée présente plusieurs avantages : Elle est peu coûteuse et facile à mettre en œuvre en laboratoire. Elle pourrait être adaptée à des objets variés et à des contextes réalistes (différentes surfaces, durées de contact, humidité…). Avant une adoption large, des validations supplémentaires sont nécessaires. Mais à terme, cet outil pourrait être intégré dans les pratiques d’analyses de traces biologiques et devenir un appui pour les magistrats et enquêteurs, dans l’évaluation du poids d’une preuve ADN.

Référence :

  • Petcharoen P., Nolan M., Kirkbride K.P., Linacre A. (2024). Shedding more light on shedders. Forensic Science International: Genetics, 72, 103065, consultable ici.
  • Flinders University. (2024, August 22). Heavy skin shedders revealed: New forensic DNA test could boost crime scene investigations. ScienceDaily, consultable ici.

Faire parler les lésions suspectes en cas de maltraitance infantile

Un cas clinique de maltraitance infantile marquant

Une équipe du laboratoire de pathologie histologique et microbiologie médico-légale de l’Université de Milan a enquêté sur un cas suspecté de maltraitance infantile ayant conduit au décès d’un enfant. Trois lésions circulaires évoquant des brûlures de cigarette ont été retrouvées sur le corps. Un mégot de cigarette prélevé à proximité vient étayer la suspicion d’un acte volontaire. L’enjeu était de déterminer si ces traces étaient le fruit d’un geste intentionnel ou non. Or, l’analyse visuelle et même l’histologie classique ne permettent pas toujours d’affirmer l’origine exacte de ce type de lésion. D’où l’intérêt de recourir à une méthode plus fine et objective.

La méthode SEM–EDX : Zoom microscopique sur la lésion

La microscopie électronique à balayage (SEM) permet d’observer la morphologie de la peau lésée avec une extrême précision, tandis que la spectroscopie à dispersion d’énergie des rayons X (EDX) identifie les éléments chimiques présents à la surface des lésions. Cette analyse s’est appuyée sur une calibration interne, appliquée à des prélèvements de la peau lésée et à des fragments de cigarette saisis sur les lieux.

Signatures élémentaires d’un acte intentionnel

Les résultats ont montré une lésion circulaire, au fond rougeâtre, compatible avec un contact thermique intense. La composition chimique détectée grâce à l’EDX contenait des éléments typiquement associés à la combustion de tabac, en particulier : l’anhydride sulfurique et l’anhydride phosphorique confirmant la combustion et non de simples résidus environnementaux. Associée aux signes histologiques observés, cette analyse a permis de conclure que la blessure était antérieure au décès, apportant un élément objectif d’un probable acte de maltraitance.

Un outil pour renforcer les expertises

L’étude démontre que l’analyse SEM–EDX, combinée à l’histologie, représente un progrès notable pour caractériser des lésions suspectes en contexte de maltraitance infantile. Elle permet de dépasser l’évaluation visuelle pour fournir des éléments objectifs et reproductibles, essentiels dans les contextes judiciaires. En dépassant les limites de l’examen visuel, cette approche offre des résultats fondés sur des données physico-chimiques reproductibles, renforçant ainsi la robustesse des conclusions médico-légales face aux exigences du cadre judiciaire.

Conclusion

Cette étude ouvre la voie à une intégration plus large de la microscopie analytique dans les pratiques médico-légales. En combinant rigueur scientifique et investigation judiciaire, elle propose une méthode robuste pour clarifier la nature des lésions dont l’origine reste souvent incertaine : L’approche pourrait également être adaptée à d’autres lésions, comme celles causées par des sources de chaleur ou de produits chimiques. Un progrès qui mérite d’être étendu et validé sur un nombre plus important de cas pour en affiner la fiabilité.

Références :

  • Tambuzzi S. et al. (2024). Pilot Application of SEM/EDX Analysis on Suspected Cigarette Burns in a Forensic Autopsy Case of Child Abuse. American Journal of Forensic Medicine & Pathology, 45(2), 135‑143. consultable ici.
  • Faller-Marquardt M., Pollak S., Schmidt U. (2008). Cigarette Burns in Forensic Medicine. Forensic Sci. Int., 176(2–3), 200–208
  • Maghin F. et al. (2018). Characterization With SEM/EDX of Microtraces From Ligature in Hanging. Am. J. Forensic Med. Pathol., 39(1), 1–7, consultable ici.
Comment la police scientifique allie mycologie et palynologie pour faire parler le sol en contexte médico-légal.

Comment la nature trahit la présence d’un cadavre ?

Une approche biologique pour détecter les tombes illégales

Dans le cadre d’un projet expérimental mené à Bogotá, deux fosses simulant des sépultures clandestines ont été creusées, l’une vide, l’autre contenant un cadavre de porc, substitut standard aux corps humains en science forensique. Les chercheurs ont collecté et analysé des échantillons de sol à différentes profondeurs pour y étudier la composition fongique et palynologique. L’objectif de l’étude était de déterminer si la présence de restes organiques décomposés modifie la communauté microbienne et végétale du sol, et si ces signatures biologiques pouvaient servir d’indicateurs temporels et spatiaux dans les enquêtes criminelles.

Une richesse fongique et pollinique révélatrice

Les résultats montrent que le sol des fosses contenant un cadavre présente une plus grande diversité de champignons, notamment des espèces comme Fusarium oxysporum ou Paecilomyces, dont la fréquence augmente en présence de décomposition. Ces organismes, capables de dégrader des composés riches en azote comme la kératine, pourraient indiquer l’existence de restes organiques enfouis.

Structures du champignon Fusarium oxysporum observées au microscope optique. A et B : macroconidies, C : chlamydospores. © David Esteban Duarte-Alvarado

Côté palynologie, les grains de pollen identifiés à 50 cm de profondeur, notamment Borago officinalis, Poa sp. et Croton sonderianus sont typiques de la saison sèche. En revanche, les pollens prélevés à 30 cm sont liés à la saison humide. Cette disposition successive permettrait de dater la période d’enfouissement et d’exhumation.

Intégrer la biologie du sol dans les enquêtes judiciaires

Cette étude est la première à apporter des données expérimentales sur la mycologie et la palynologie dans un contexte tropical équatorial, jusqu’alors peu exploré en science forensique. Elle ouvre la voie à une intégration plus systématique de ces disciplines dans l’analyse des scènes de crime impliquant des sépultures clandestines ou la recherche de corps enfouis. Bien que ces résultats soient préliminaires, ils démontrent la pertinence d’approches biologiques complémentaires aux méthodes médico-légales classiques, notamment dans des régions où les conditions climatiques modifient les dynamiques de décomposition.

Conclusion

Cette étude s’inscrit dans un champ de recherches plus large sur les indices biologiques laissés par des cadavres enfouis. Après les arbres et leurs racines qui peuvent signaler une présence souterraine anormale, ce sont ici les champignons et les pollens qui deviennent témoins silencieux des morts clandestines. Cette approche microbiologique vient enrichir les outils de l’archéologie forensique, telle que pratiquée par les experts de la gendarmerie nationale. En croisant les indices biologiques invisibles à l’œil nu avec les techniques classiques de fouilles et d’analyse stratigraphique, elle permet une lecture plus fine du sol et de son histoire criminelle.

Référence :
Tranchida, M. C., et al. (2025). Mycology and palynology: Preliminary results in a forensic experimental laboratory in Colombia, South America. Journal of Forensic Sciences.
Article complet disponible ici.

Utilisation de l'IA pour déterminer l'interval post-mortem avec Forenseek

Quand l’intelligence artificielle lit les signes de la mort

L’estimation de l’intervalle post-mortem (IPM) repose en grande partie sur l’identification (le scoring) du stade de décomposition (SOD) du corps. Jusqu’ici, cette étape cruciale est encore majoritairement effectuée par des experts humains, à l’aide de méthodes visuelles semi-objectives. Toutefois, ces approches souffrent de limites importantes : subjectivité, temps d’analyse, et difficulté à traiter des bases de données massives.

Une étude récente proposée par l’Université du Tennessee explore l’apport de l’intelligence artificielle (IA) pour automatiser cette classification. S’appuyant sur un corpus de plus de 1,5 million d’images de corps en décomposition documentés en conditions réelles entre 2011 et 2023, les chercheurs ont entraîné deux modèles de réseaux de neurones convolutifs (CNN) : Inception V3 et Xception.

Une approche anatomique segmentée et fondée sur l’apprentissage profond

L’étude repose sur une stratégie de scoring du stade de décomposition par région anatomique (tête, tronc et membres), en accord avec les méthodes de Megyesi (4 stades) et de Gelderman (6 stades). Les images ont été automatiquement triées, puis annotées manuellement par un expert selon ces référentiels. Les modèles IA ont ensuite été entraînés par transfert d’apprentissage et testés sur des images non vues.

Les performances sont très prometteuses, notamment avec le modèle Xception, qui atteint un F1-score élevé pour les deux méthodes, indicateur de la capacité d’un modèle d’intelligence artificielle à fournir des prédictions à la fois exactes et complètes. Les résultats sont plus modestes pour les membres, en raison de la variabilité des conditions photographiques.

Une fiabilité comparable à celle des experts humains ?

Pour évaluer la performance de l’intelligence artificielle (IA) par rapport à des experts humains, les chercheurs ont réalisé un test d’inter-évaluateurs sur 300 images de la région thoracique. Trois spécialistes ont classé les stades de décomposition de ces images selon les deux méthodes reconnues, et leurs résultats ont été comparés à ceux produits par l’IA.

Le niveau de concordance a été évalué à l’aide du coefficient Kappa de Fleiss. Pour la méthode de Megyesi, les résultats ont révélé un accord dit « substantiel » entre les classifications réalisées par l’intelligence artificielle et celles des experts humains (κ = 0,637), un score très proche de celui observé entre les experts eux-mêmes (κ = 0,67). Ces résultats témoignent de l’alignement significatif de l’IA avec les évaluations d’experts du domaine, renforçant ainsi la validité et la pertinence de cette approche automatisée.

Des limites à surmonter pour une intégration opérationnelle

L’annotation effectuée par un seul expert expose à des biais, tout comme le contexte environnemental unique limite la généralisation des résultats. Les performances plus faibles sur les membres indiquent le besoin d’une diversification des données, notamment en intégrant des conditions climatiques variées. Une base multicentrique, annotée par plusieurs experts, permettrait de constituer une base de données de référence plus robuste, garantissant une meilleure généralisation et une fiabilité accrue des modèles.

Perspectives : vers une forensique augmentée par l’intelligence artificielle

Cette étude constitue une avancée vers l’automatisation de l’analyse taphonomique. D’autres travaux, comme ceux de Smith et al. (2024) avec des modèles bayésiens, ou l’usage croissant de l’imagerie 3D et du nécrobiome, suggèrent une convergence des approches IA, biologiques et environnementales pour une estimation du PMI plus précise et moins subjective.

L’automatisation de l’évaluation du stade de décomposition permet de gagner un temps considérable tout en réduisant la variabilité inter-observateur. Des efforts sont néanmoins nécessaires pour élargir les base de données et développer des standards d’annotation uniformes. L’intégration d’algorithmes comme ceux décrits ici pourrait transformer les pratiques en médecine légale, en facilitant l’exploitation et l’analyse de grandes bases d’images ou dans des situations de crise (catastrophes, conflits).

Références :

  • Nau, A.-M. et al. (2024). Towards Automation of Human Stage of Decay Identification: An Artificial Intelligence Approach. arXiv:2408.10414.
  • Megyesi, M.S. et al. (2005). Using accumulated degree-days to estimate the postmortem interval from decomposed human remains. Journal of Forensic Sciences, 50(3), 618–626.
  • Gelderman, H. et al. (2018). The development of a post-mortem interval estimation for human remains found on land in the Netherlands. Int. J. Legal Med., 132(3), 863–873.
  • Smith, D.H. et al. (2024). Modeling human decomposition: a Bayesian approach. arXiv:2411.09802.
  • Infante, D. (2025). How AI and 3D Imaging are Transforming Body Farm Research. AZoLifeSciences.
  • Piraianu, A.-I. et al. (2023). Enhancing the evidence with algorithms: how artificial intelligence is transforming forensic medicine. Diagnostics, 13(18), 2992.

Quand les dents parlent : le tartre au service de la toxicologie

Initialement exploité en archéologie, le tartre dentaire révèle aujourd’hui son potentiel en médecine légale. Il conserve des traces de substances ingérées, ouvrant la voie à une analyse post-mortem des consommations médicamenteuses ou de substances psychoactives.

Le tartre dentaire : une matrice négligée, mais précieuse

Le tartre dentaire se forme par la minéralisation progressive de la plaque dentaire, un biofilm composé de salive, de micro-organismes et de résidus alimentaires. Ce processus piège divers composés présents dans la cavité buccale, y compris des xénobiotiques tels que les drogues ou leurs métabolites. Sa composition cristalline confère à cette matrice une excellente conservation des substances qu’elle renferme, tout en la rendant résistante aux dégradations extérieures, y compris dans des contextes post-mortem ou archéologiques.

Une nouvelle voie pour traquer les substances illicites

Récemment, une équipe de chercheurs a démontré la faisabilité d’une approche toxicologique fondée sur l’analyse du tartre dentaire, en utilisant des techniques de chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS). Dans une étude portant sur dix cas médico-légaux, les chercheurs ont détecté 131 substances dans le tartre, contre 117 dans le sang, révélant parfois des concentrations plus élevées dans le tartre. La méthode a permis d’identifier des drogues d’usage courant comme la cocaïne, l’héroïne ou les cannabinoïdes, y compris dans des cas où elles n’étaient plus détectables dans les matrices conventionnelles (Sørensen et al., 2021). Ces substances, parfois absentes du sang, étaient présentes en concentrations plus élevées dans le tartre.

Un témoin durable et discret

Cette approche présente plusieurs avantages notables. Elle permet la détection de consommations plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après l’ingestion. Le prélèvement de tartre est non invasif et applicable à des restes squelettiques, ce qui en fait une solution pertinente en archéologie et en anthropologie médico-légale. Elle pourrait ainsi contribuer à éclairer les habitudes de consommation, les traitements médicamenteux ou les causes de décès dans des contextes où le sang, l’urine ou les cheveux sont absents.

Une méthode prometteuse à développer

L’un des atouts majeurs de cette technique réside dans sa capacité à exploiter une matrice souvent négligée, mais fréquemment présente sur les dents. Quelques milligrammes suffisent pour réaliser une analyse fiable, à condition que les substances piégées aient conservé leur stabilité dans le temps. La méthode offre également la perspective d’élargir la gamme de substances identifiables, sous réserve de validations complémentaires.

Bien que prometteuse, cette voie nécessite encore des recherches supplémentaires pour standardiser les protocoles, évaluer la stabilité à long terme des molécules, et intégrer pleinement cette approche dans les pratiques médico-légales courantes. L’approche, encore en phase exploratoire, offre néanmoins un potentiel remarquable dans l’exploitation des matrices alternatives, et ouvre des perspectives inédites pour la toxicologie forensique.

Références :

  • Sørensen LK, Hasselstrøm JB, Larsen LS, et al. Entrapment of drugs in dental calculus: detection validation based on test results from post-mortem investigations. Forensic Sci Int 2021; 319: 110647.
  • Reymond C, Le Masle A, Colas C, et al. A rational strategy based on experimental designs to optimize parameters of a liquid chromatography-mass spectrometry analysis of complex matrices. Talanta 2019; 205: 120063.
  • Radini A, Nikita E, Buckley S, Copeland L, Hardy K. Beyond food: The multiple pathways for inclusion of materials into ancient dental calculus. Am J Phys Anthropol 2017; 162: 71–83.
  • Henry AG, Piperno DR. Using plant microfossils from dental calculus to recover human diet: a case study from Tell al-Raqā’i, Syria. J Archaeol Sci 2008; 35: 1943–1950.
Les punaises de lit pour résoudre des crimes avec la police scientifique - Forenseek

Punaises de lit : une nouvelle arme pour la police scientifique ?

Des chercheurs malaisiens ont exploré l’intérêt des punaises de lit tropicales, Cimex hemipterus, comme nouvelles sources d’ADN humain en contexte judiciaire. Absentes des investigations classiques faute de traces visibles, ces punaises pourraient néanmoins porter dans leur tube digestif l’ADN du dernier hôte humain qu’elles ont piqué. Cette étude visait à déterminer si et pendant combien de temps un profil ADN exploitable pouvait être extrait du contenu sanglant de ces insectes, notamment via des marqueurs génétiques STR (Short Tandem Repeat) et SNP (Single Nucleotide Polymorphism).

Méthodologie et résultats

Des colonies de punaises de lit élevées en laboratoire ont été nourries sur des volontaires humains, puis sacrifiées à différents intervalles (0, 5, 14, 30 et 45 jours après repas sanguin). L’ADN a été extrait et soumis à des analyses STR et SNP selon les standards forensiques. Les résultats sont clairs : un profil STR et SNP complet n’a pu être obtenu que le jour même du repas (0 jour), tandis que des profils partiels, certes plus fragmentaires, restaient obtenables jusqu’à 45 jours post‑repas. Les SNP utilisés pouvaient être interprétés avec le système HIrisPlex‑S, permettant notamment des prédictions de phénotypes (couleur des yeux, peau, cheveux) même à partir de données partielles. En outre, des punaises collectées sur le terrain ont corroboré la faisabilité des marqueurs STR, révélant parfois des profils mixtes, ce qui pourrait indiquer un repas sur plusieurs individus .

Implications légales et perspectives

Ces résultats ouvrent une piste inédite pour la criminalistique : lorsque les traces biologiques classiques ont disparu ou ont été nettoyées, des punaises de lit pourraient rester sur les lieux et constituer des micro‑réservoirs d’ADN humain fiables, permettant d’identifier des personnes venues sur les lieux ou d’établir une chronologie de passages . Cependant, plusieurs limitations doivent être prises en compte. D’abord, les analyses sont longues et nécessitent un protocole rigoureux. Le profil devient partiel après quelques jours et certaines loci ne sont plus détectables. De plus, lorsqu’un insecte a ingéré du sang de plusieurs personnes, les signaux génétiques peuvent être mélangés, rendant l’interprétation plus complexe .

Les auteurs soulignent la nécessité de valider ces résultats sur des échantillons plus variés, avec davantage d’individus donneurs et différents kits STR/SNP commerciaux. Des essais in situ sur scènes de crime simulées seraient également souhaitables pour confirmer la robustesse de la méthode, notamment en lien avec d’autres insectes ou intermédiaires biologiques considérés en entomologie médico‑légale .

Conclusion

En résumé, cette étude démontre qu’on peut exploiter l’ADN humain conservé dans l’estomac de punaises de lit tropicales jusqu’à 45 jours après le repas, grâce à l’analyse STR et SNP. Bien que seule une extraction immédiate permette un profil complet, ces insectes constituent une ressource nouvelle et prometteuse pour la police scientifique, notamment dans les contextes où les méthodes traditionnelles échouent. Toutefois, l’approche exige des protocoles rigoureux, plus d’études de validation et une modélisation réaliste des scènes d’enquête avant toute utilisation judiciaire. Des recherches complémentaires permettront de déterminer comment intégrer cette stratégie au panel des outils forensiques à disposition des enquêteurs et scientifiques.

Sources :

  • Kamal, M. M. et al. (2023)Human profiling from STR and SNP analysis of tropical bed bug (Cimex hemipterus) for forensic science, Scientific Reports, 13(1), 1173.
  • Chaitanya, L. et al. (2018)HIrisPlex-S system for eye, hair and skin colour prediction from DNA, Forensic Science International: Genetics, 35, 123–134.
  • Asia News Network (2023)Malaysian scientists discover bed bugs can play role in forensic investigations, consulter l’article.
  • ResearchGate – Publication originaleHuman profiling from STR and SNP analysis of tropical bed bug Cimex hemipterus for forensic science, consulter l’article.

Photogrammétrie, Lasergrammétrie et Intelligence Artificielle : une révolution technologique

La criminalistique et les interventions d’urgence vivent actuellement une période charnière marquée par l’intégration croissante de technologies avancées telles que la photogrammétrie, la lasergrammétrie (LiDAR) et l’intelligence artificielle (IA). Ces technologies apportent non seulement une précision et une efficacité sans précédent mais ouvrent aussi de nouvelles perspectives d’investigation et d’intervention, modifiant profondément les méthodologies traditionnelles.

Photogrammétrie et Lasergrammétrie : des outils de précision

En qualité d’expert topographe et officier spécialiste de l’unité drone du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Haute-Savoie (SDIS74), j’ai constaté directement comment ces outils améliorent la précision des relevés topographiques et facilitent l’analyse rapide des scènes complexes. La photogrammétrie permet la reconstruction en 3D d’environnements divers en utilisant des images aériennes capturées par des drones équipés de caméras haute résolution. Cela génère rapidement des modèles numériques de terrains détaillés, essentiels dans les interventions urgentes ou criminelles où chaque détail compte.

Levé de route par méthode photogrammétrique, en vraie coloration. Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

Il est possible d’atteindre des niveaux de détail extrêmement élevés, permettant par exemple d’identifier des traces de pas par la profondeur laissée dans le sol.

La lasergrammétrie (LiDAR) complète efficacement la photogrammétrie en offrant une précision millimétrique grâce à l’émission de faisceaux laser qui scannent et modélisent l’environnement en trois dimensions. Cette technologie est particulièrement efficace dans les contextes complexes comme les zones boisées denses, les falaises abruptes ou les reliefs montagneux escarpés, où la photogrammétrie peut parfois rencontrer des difficultés à capturer tous les détails nécessaires.

Pour préciser davantage, le LiDAR présente généralement plus de bruit sur les terrains nus et les surfaces dures par rapport à la photogrammétrie, qui reste l’outil à privilégier dans ces cas-là. En revanche, dans les zones boisées, le LiDAR peut ponctuellement atteindre le sol et fournir ainsi des informations cruciales sur le relief, là où la photogrammétrie pourrait échouer.

La photogrammétrie ne fonctionne que de jour puisqu’elle exploite les données photographiques dans le spectre visible.

Suivant les altitudes de vol choisies et le type de capteur utilisé, il est possible d’atteindre des niveaux de détail extrêmement élevés, permettant par exemple d’identifier des traces de pas par la profondeur laissée dans le sol. Ces technologies sont d’ores et déjà employées pour figer précisément des scènes de crime. Traditionnellement, des scanners statiques étaient utilisés à cet effet, mais les drones permettent d’élargir considérablement le périmètre de captation tout en assurant une rapidité accrue. Cette rapidité est cruciale car il est souvent impératif de figer rapidement la scène avant tout changement météorologique.

Cependant, il est important de noter que la photogrammétrie ne fonctionne que de jour puisqu’elle exploite les données photographiques dans le spectre visible.

Levé topographique par méthode LIDAR et colorié selon les altitudes. Végétation différenciée en vert. Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

L’intelligence Artificielle : vers une analyse automatisée et performante

La véritable révolution réside dans l’intégration de ces relevés géospatiaux à des systèmes intelligents capables d’analyser massivement des données visuelles avec rapidité et précision. À cet égard, le projet OPEN RESCUE, développé par ODAS Solutions en partenariat avec le SDIS74 et l’Université Savoie Mont-Blanc, constitue un cas exemplaire. Cette IA est alimentée par un jeu de données exceptionnel de près de 1,35 million d’images collectées grâce à différents types de drones (DJI Mavic 3, DJI Matrice 300, Phantom 4 PRO RTK, etc.) dans une diversité remarquable d’environnements, couvrant toutes les saisons.

Illustration des capacités d’OPEN RESCUE : une personne isolée l’hiver en montagne. Crédit : Arnaud STEPHAN – ODAS SOLUTIONS

La robustesse de l’IA OPEN RESCUE se traduit par un F1-score maximal de 93,6 %, un résultat remarquable validé par des opérations de terrain réelles. Le F1-score est un indicateur statistique utilisé pour mesurer la précision d’un système d’intelligence artificielle : il combine la précision (le nombre d’éléments correctement identifiés parmi toutes les détections) et le rappel (le nombre d’éléments correctement identifiés parmi tous ceux présents). Un score élevé signifie donc que l’IA parvient efficacement à détecter correctement un grand nombre d’éléments pertinents tout en évitant les fausses détections. Ce système intelligent est capable de détecter avec précision des individus ainsi que des indices indirects de présence humaine tels que vêtements abandonnés, véhicules immobilisés ou objets personnels, offrant ainsi une assistance précieuse et immédiate aux équipes de secours.

Captation des données d’entrainement OPEN RESCUE avec des pompiers du SDIS74 – Crédit : Arnaud STEPHAN – ODAS SOLUTIONS

L’arrivée de cette technologie transforme radicalement la façon dont les équipes mènent leurs recherches : à présent, il devient possible de ratisser méthodiquement et largement des zones entières, avec la possibilité de s’assurer qu’aucun élément pertinent n’a été identifié par l’IA dans ces zones. Bien que cela ne remplace pas les équipes cynophiles ni les autres méthodes traditionnelles, l’intelligence artificielle apporte une exhaustivité nouvelle et complémentaire à la démarche de recherche.

L’arrivée de cette technologie transforme radicalement la façon dont les équipes mènent leurs recherches.

Applications pratiques et résultats opérationnels

Sur le terrain, l’efficacité de ces technologies est largement démontrée. Les drones autonomes utilisés par notre unité peuvent couvrir efficacement jusqu’à 100 hectares en environ 25 minutes, avec un traitement des images réalisé quasiment en temps réel par OPEN RESCUE. Cela permet une réponse extrêmement rapide, garantissant une gestion optimale du temps critique lors des interventions d’urgence et des recherches de personnes disparues.

En outre, la capacité à documenter précisément les zones parcourues lors des opérations apporte un avantage significatif dans les contextes judiciaires. La possibilité d’utiliser ces modèles 3D précis et ces données analysées automatiquement comme preuves devant des tribunaux offre une transparence accrue aux procédures judiciaires et facilite grandement le travail des magistrats, enquêteurs et avocats.

Drone Matrice 300 DJI en vol en zone montagneuse – Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

Contraintes d’exploitation et cadre réglementaire

L’utilisation opérationnelle des drones et de ces technologies avancées est soumise à plusieurs contraintes réglementaires strictes, notamment en termes d’autorisations de vol, de respect de la vie privée, de gestion des données et de sécurité aérienne. En France, les drones sont réglementés par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) qui impose des scénarios de vol spécifiques et des protocoles précis à suivre lors des missions.

De plus, les contraintes techniques d’exploitation incluent la nécessité d’avoir des pilotes formés et régulièrement entraînés, capables de gérer des missions en toute sécurité et efficacité. Enfin, tous les six mois environ, du nouveau matériel innovant voit le jour, apportant constamment des améliorations significatives telles que des vitesses de captation accrues, des capteurs optiques et thermiques de meilleure qualité, ainsi que la miniaturisation des systèmes LiDAR embarqués.

Conclusion

En définitive, l’intégration croissante des technologies avancées constitue une avancée déterminante dans les sciences forensiques et les interventions d’urgence, malgré les contraintes opérationnelles et réglementaires à considérer. Leur application pratique améliore non seulement l’efficacité et la rapidité des opérations mais ouvre aussi de nouvelles possibilités d’analyse judiciaire, confirmant ainsi leur rôle essentiel dans la sécurité publique et la justice moderne.