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Symptômes post-traumatiques des personnes victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance

L’évaluation clinique et judiciaire des enfants victimes d’agressions sexuelles nécessite une connaissance approfondie du développement de l’enfant et des manifestations des symptômes post-traumatiques typiques de l’enfance et l’adolescence. Connaître les particularités symptomatiques chez l’enfant permet de distinguer les manifestations traumatiques des variations normales du développement, dans une approche qui doit impérativement respecter le monde de l’enfance.

Respecter et s’appuyer sur le monde de l’enfance

En effet, la pratique avec les enfants implique d’utiliser des médiations correspondant à des mondes enfantins, d’employer un vocabulaire et un ton adapté à l’âge et d’explorer les intérêts de l’enfant. Au-delà de l’alliance qu’ils permettent, les intérêts de l’enfant sont des indicateurs de son niveau de développement, de son environnement, de son organisation quotidienne, indicateurs riches pour l’évaluation expertale.

Prenons pour exemple, un enfant de 8 ans, scolarisé en CE2, interrogé simplement sur ses activités préférées indique jouer à la Tablette au jeu Paddington. Interrogé simplement sur la tablette et sur le jeu avec des questions comme : « qu’est-ce que tu aimes dans ce jeu ? » « Qu’est-ce que tu peux me raconter sur cette tablette ? », l’enfant indique que la tablette appartient à son père, que lui n’en pas, qu’il peut y jouer les mercredis et week-end, durant 30 minutes, dans le salon familial. Il raconte aimer cet ourson pour ses aventures, il lui est alors demandé de détailler un de ses moments préférés.

Respecter le monde de l’enfance, c’est chercher éviter le risque d’une nouvelle traumatisation lors de l’examen expertal

Les réponses de l’enfant nous permettent d’évaluer : un intérêt et une activité cohérente avec son âge, un cadre familial adapté à son âge concernant les jeux sur écran mais également sa capacité à effectuer un récit (pronoms et temps utilisés, structuration spatiale et chronologique, distinction avec la réalité…). L’analyse ne sera pas la même si le jeu pratiqué est Call of Duty, jeu de guerre, selon les versions, déconseillés au moins de 16 ou 18 ans ou si l’enfant de 8 ans a un écran dans sa chambre ou encore s’il s’agit d’un adolescent de 15 ans…

Enfin, et c’est d’après moi le plus important, respecter le monde de l’enfance, c’est chercher éviter le risque d’une nouvelle traumatisation lors de l’examen expertal. Un environnement indiquant que les enfants sont les bienvenus est judicieux : des lectures enfantines en salle d’attente, des jouets, la possibilité de s’assoir de manière confortable, de pouvoir bouger… Indiquer aux accompagnateurs de prendre un doudou ou un objet rassurant est également nécessaire. Pour en revenir à la symptomatogie post-traumatique enfantine, cette problématique prend une résonance particulière au regard d’affaires récentes comme celle de Joël Le Scouarnec, où 299 victimes identifiées présentaient des symptômes post-traumatiques significatifs malgré une absence apparente de souvenirs des agressions subies sous anesthésie.

Le cadre théorique du psychotraumatisme sexuel

Le psychisme désigne l’ensemble des phénomènes mentaux conscients et inconscients : les processus cognitifs (pensée, mémoire, perception), les processus affectifs (émotions, sentiments), les mécanismes de défense psychologiques, l’activité fantasmatique et imaginaire, les structures de la personnalité. L’évènement traumatique est une intrusion brutale dans le psychisme, dépassant les capacités de traitement et d’intégration de l’appareil mental, c’est ce qui est qualifié d’effraction traumatique.

Un enfant victime d’abus restera souvent longtemps dans la dénégation

L’effraction traumatique chez l’enfant victime d’agression sexuelle présente des caractéristiques particulières. Louis Crocq (1999) définit le psychotraumatisme comme « un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur ». Dans le cas des agressions sexuelles, cette effraction revêt une dimension non accessible à l’enfant. Comme le souligne Tardy (2015), « Un enfant victime d’abus restera souvent longtemps dans la dénégation, défense destinée à lui éviter de réaliser les troubles psychiques des adultes censés le protéger et qui l’ont en fait agressé, ce qui serait trop angoissant ».

Le syndrome de répétition, tel que décrit par Crocq (2004), constitue « un ensemble de manifestations cliniques par lesquelles le patient traumatisé revit intensément, contre sa volonté et de manière itérative, son expérience traumatique ». C’est ainsi que chez l’enfant et l’adolescent, comme chez l’adulte, de nombreux symptômes autour de la répétition ou de l’évitement de la répétition vont être observé.

Symptômes selon l’âge : une approche développementale

Les manifestations traumatiques chez les plus jeunes :

Elles sont caractérisées par des souvenirs intrusifs peu intégrés, composés essentiellement de sensations et d’émotions intenses selon les travaux de Eth, Pynoos (1985) et Pynoos, Steinberg et coll. (1995). En dehors des jeux habituels, inhérent à l’enfance, des jeux spécifiques, en lien avec l’évènement traumatique peuvent se développer. Ces jeux post-traumatiques constituent un indicateur clinique majeur : Fletcher (1996) les décrit comme « répétitifs, impliquant un élément central en lien avec l’événement, ou non lié à l’événement, moins élaborés et imaginatifs que les jeux habituels, généralement chargés d’émotions (anxiété), rigides, peu joyeux ». Ces jeux perdent leur fonction créative et exploratoire normale pour devenir compulsifs et stéréotypés.

L’hyperactivité neurovégétative et l’évitement sont des symptômes post-traumatiques habituels. Chez les enfants, ils se manifestent par une hypervigilance anxieuse, des réactions de sursaut exagérées et des troubles du sommeil avec des réveils fréquents. L’évitement se traduit par un isolement social, un émoussement affectif et une régression développementale touchant la propreté, le sommeil ou le retour de peurs infantiles. Putnam (2003) dans son étude longitudinale sur 166 enfants victimes d’agressions sexuelles, démontre que 40% développent des symptômes d’hyperactivité dans les 6 mois suivant la révélation, contre 8% dans la population générale. L’auteur explique cette hyperactivité comme un mécanisme adaptatif de fuite face aux stimuli intrusifs post-traumatiques.

Certains enfants développent des comportements lisses, n’attirant absolument pas l’attention

Les manifestations post-traumatiques chez l’enfant présentent des particularités souvent méconnues qui rendent leur identification complexe. Contrairement aux adultes, les enfants présentent fréquemment des symptômes aspécifiques selon les recherches développementales, particulièrement les enfants les plus jeunes (moins de six ans).

Dès le plus jeune âge, les troubles du rapport au corps constituent un marqueur clinique essentiel : limitation de tenues vestimentaires ou tenues sexualisées, conduites de lavage extrêmes, problème dans le rapport à sa propre nudité, manque d’investissement corporel, image dévalorisée de son corps ou certaines parties de son corps, troubles dans la relation au toucher, refus de manifestation affective. Ces manifestations corporelles sont souvent non reconnues car elles peuvent paraître anodines ou être attribuées à d’autres causes. À l’opposé de l’agitation parfois observée, certains enfants développent des comportements lisses, n’attirant absolument pas l’attention. Cette présentation inhibitrice, caractérisée par une adaptation excessive et une conformité extrême, constitue paradoxalement un signe d’alerte. Les recherches soulignent l’importance de « garder à l’esprit que certains de ces comportements sont courants dans cette tranche d’âge. Ainsi, les symptômes d’activation neuro-végétative se manifestent plutôt par une exacerbation de comportements déjà présents chez l’enfant, parfois difficilement repérable par l’entourage » (Eth, Pynoos, 1985 ; Pappagallo, Silva, Rojas, 2004).

Les enfants plus âgés (6 à 12 ans) :

En plus des symptômes précédents, ils peuvent présenter des troubles somatiques (céphalées, maux de ventre, etc.) qui, par leur caractère aspécifique, ne sont pas toujours reliés au traumatisme sexuel. Ces manifestations somatiques constituent pourtant des indicateurs cliniques importants dans le contexte d’une évaluation globale.

Chez l’enfant d’âge scolaire, les souvenirs intrusifs deviennent plus structurés mais peuvent contenir des modifications mentales protectrices minimisant la gravité de l’évènement. Les jeux post-traumatiques évoluent : ils sont « plus élaborés et sophistiqués, avec transformation de certains aspects de l’événement, introduction de dangers symboliques (monstres), implication d’autres personnes (pairs) » (Fletcher, 1996). Ces transformations témoignent d’une tentative d’élaboration psychique plus mature. L’impact scolaire devient prépondérant avec des troubles attentionnels, une chute des performances et parfois un refus scolaire anxieux ainsi qu’une perte d’estime de soi et de confiance envers les proches. Les symptômes somatiques fréquents peuvent générer une absence scolaire.

À l’adolescence :

Les dessins et jeux post-traumatiques deviennent peu fréquents, remplacés par d’autres modes d’expression de la souffrance. Les manifestations se rapprochent de celles observées chez l’adulte (Yule, 2001 ; Rojas & Lee, 2004), avec des souvenirs répétitifs, des flash-backs et un émoussement affectif, c’est-à-dire une diminution de l’intensité et de la gamme des expressions émotionnelles, marqué. L’émoussement affectif se traduit dans des expressions faciales pauvres ou figées, une voix monotone, un regard terne, peu expressif, des réponses émotionnelles inappropriées ou absentes, une capacité réduite à ressentir la joie, la tristesse, la colère. Il peut impliquer des difficultés à établir des liens affectifs, des relations interpersonnelles appauvries et une Impression de « froideur » donnée à l’entourage. Les conduites addictives avec substances (alcool, produits toxiques, drogues…) ou comportementales (jeux vidéo, vidéos pornographiques, sexualité, jeux d’argent…) et les comportements à risque (vitesse, équilibre, délinquance…) peuvent apparaître.

L’évaluation doit distinguer l’exploration sexuelle normale des manifestations pathologiques

Symptômes spécifiques aux traumatismes sexuels

Les troubles du rapport au corps sont caractéristiques et constituent un marqueur spécifique des traumatismes physiques et sexuels. Globalement, la sexualisation du vocabulaire et des conduites est un indicateur, encore plus notable, si le changement est soudain.

Les Comportements Sexuels Problématiques (CSP) constituent une manifestation spécifique particulièrement importante à identifier. Selon l’ATSA (Association of the Treatment of Sexual Abusers), les CSP sont définis comme des « comportements, de nature sexuelle, manifestés par un enfant, qui sont considérés comme inappropriés en fonction de son âge et de son niveau de développement » et qui peuvent être « néfastes pour lui-même ou pour les autres enfants impliqués ».

Les CSP sont définis jusqu’à 12 ans et leur évaluation nécessite une connaissance du développement sexuel de l’enfant et l’adolescent et d’un vocabulaire adapté à son âge. Cette définition s’inscrit dans une approche développementale où l’évaluation doit distinguer l’exploration sexuelle normale des manifestations pathologiques. Selon Chaffin et coll. (2006), les comportements sexuels sont considérés comme problématiques selon six critères : ils surviennent à une « fréquence ou une intensité élevée », « interfèrent avec le développement social ou cognitif de l’enfant », « intègrent la force, la coercition ou l’intimidation », sont « associés à des blessures physiques ou à une détresse émotionnelle », « surviennent entre des enfants de stade développemental différent », et « persistent malgré les interventions d’un adulte ». Les CSP peuvent inclure des attouchements sur d’autres enfants, une masturbation excessive, des connaissances sexuelles inadaptées au développement, ou des conduites hypersexualisées.

Symptômes à l’âge adulte :

Les recherches longitudinales démontrent la persistance des symptômes à l’âge adulte. Une étude britannique sur 2232 sujets de 18 ans révèle un risque majoré de troubles psychiatriques : 29,2% de dépression caractérisée, 22,9% de troubles des conduites, 15,9% de dépendance à l’alcool, 8,3% d’automutilations et 6,6% de tentatives de suicide.

L’impact sur la vie conjugale est particulièrement documenté. Selon Gérard (2014), près de 60% des adultes victimes d’abus sexuels dans l’enfance vivent une situation d’isolement conjugal ; 20% n’ont jamais pu s’inscrire dans une relation durable. Les difficultés relationnelles se caractérisent par une oscillation paradoxale entre méfiance excessive et dépendance, des troubles sexuels polymorphes (« hypersexualité ou manque de libido, absence de plaisir, douleurs, comportements sexuels à risque »), et la recherche d’un partenaire « réparateur » générant frustrations intenses. Chez les femmes, des troubles menstruels spécifiques sont fréquemment observés dès la puberté : irrégularités, douleurs, aménorrhée, dégoût.

Parmi les symptômes observés dans le cadre expertal chez les adultes ayant été victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance, on retrouve les symptômes observés chez les enfants : comme des comportements masturbatoires persistants développés dans l’enfance, à la période des faits ou de leur révélation ; des somatisations évitantes, des troubles attentionnels… C’est le recueil de ces symptômes qui va pouvoir indiquer une cohérence avec des faits décrits dans le cadre de l’expertise psychologique. Par ailleurs, pour la personne victime, cette analyse pourra permettre de donner un sens à des conduites incomprises et parfois réprouvées.

Il n’est pas nécessaire de se souvenir pour souffrir de troubles post-traumatiques

L’affaire Scouarnec : symptômes sans souvenirs

L’affaire Scouarnec illustre parfaitement la problématique des symptômes post-traumatiques en l’absence de souvenirs conscients. Les 299 victimes identifiées, majoritairement mineures et agressées sous anesthésie, présentaient des manifestations symptomatiques avant même la révélation des faits par les enquêteurs. Amélie Lévêque témoigne : « J’avais tellement de séquelles en fait de cette opération qui étaient là, mais que personne n’expliquait ». Ces séquelles incluaient phobies médicales, troubles alimentaires et « le sentiment diffus que quelque chose d’anormal avait eu lieu ». Les experts au procès ont confirmé que « il n’est pas nécessaire de se souvenir pour souffrir de troubles post-traumatiques ».

Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre et médecin légiste, explique cette « mémoire du corps » : « Le corps parle et moins nous sommes dans la conscience d’un événement douloureux ou stressant, plus son impact sur le corps sera fort ». Même en état de conscience altéré, l’impact traumatique persiste, générant des symptômes durables sans souvenir explicite.

Implications cliniques et perspectives

Cette réalité clinique souligne l’importance d’une évaluation multidimensionnelle respectant les particularités développementales. L’expertise doit intégrer l’observation des jeux et intérêts selon l’âge, l’évaluation de l’inscription sociale et scolaire, et la capacité de projection positive dans l’avenir. L’affaire Scouarnec démontre que l’absence de souvenirs conscients n’exclut nullement l’existence d’un traumatisme et de ses conséquences durables. Cette compréhension s’avère essentielle pour une évaluation clinique symptomatologique, notamment chez les jeunes enfants ou les personnes ayant vécu des traumatismes sexuels avant 6 ans.

Bibliographie :

Crocq, L. (2004). Traumatismes psychiques : Prise en charge psychologique des victimes. Paris : Masson.

Tardy, M.-N. (2015). Chapitre 8. Vécu de l’enfant abusé sexuellement. Dans M.-N. Tardy (dir.), La maltraitance envers les enfants. Les protéger des méchants (pp. 123-150). Paris : Odile Jacob.

Drell, M. J., Siegel, C. H., Gaensbauer, T. J. (1993). Post-traumatic stress disorder. Dans C. H. Zeanah (dir.), Handbook of infant mental health (pp. 291-304). New York : Guilford Press.

Fletcher, K. E. (1996). Childhood posttraumatic stress disorder. Dans E. J. Mash & R. A. Barkley (dir.), Child psychopathology (pp. 242-276). New York : Guilford Press.

Frank W. Putnam, Ten-Year Research Update Review: Child Sexual Abuse, Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, Volume 42, Issue 3, 2003, Pages 269-278,

Pynoos, R. S., Steinberg, A. M., Wraith, R. (1995). A developmental model of childhood traumatic stress. Dans D. Cicchetti & D. J. Cohen (dir.), Developmental psychopathology (Vol. 2, pp. 72-95). New York : Wiley.

Scheeringa, M. S., Zeanah, C. H. (2003). Symptom expression and trauma variables in children under 48 months of age. Infant Mental Health Journal, 24(2), 95-105.

Yule, W. (2001). Post-traumatic stress disorder in the general population and in children. Journal of Clinical Psychiatry, 62(17), 23-28.

Gérard, C. (2014). Conséquences d’un abus sexuel vécu dans l’enfance sur la vie conjugale des victimes à l’âge adulte. Carnet de notes sur les maltraitances infantiles, 3, 42-48. DOI : 10.3917/cnmi.132.0042

Chaffin, M., Letourneau, E., Silovsky, J. F. (2002). Adults, adolescents, and children who sexually abuse children: A developmental perspective. Dans J. E. B. Myers, L. Berliner, J. Briere, C. T. Hendrix, C. Jenny, & T. A. Reid (dir.), The APEAC handbook on child maltreatment (2e éd., pp. 205-232). Thousand Oaks, CA : Sage.

Chaffin, M., Berliner, L., Block, R., Johnson, T. C., Friedrich, W. N., Louis, D. G., … & Silovsky, J. F. (2006). Report of the ATSA task force on children with sexual behavior problems. Child Maltreatment, 11(2), 199-218.

Gury, M.-A. (2021). Pratique de l’expertise psychologique avec des enfants dans le cadre judiciaire pénal. Psychologues et Psychologies, 273, 24-26.

France Info (6 mars 2025). Procès de Joël Le Scouarnec : une affaire « entrée par effraction » dans la vie de nombreuses victimes, sans souvenirs d’actes subis sous anesthésie.

France 3 Bretagne (14 avril 2025). Procès le Scouarnec : « même sans souvenirs, on peut souffrir de troubles post-traumatiques ». consultable ici.

Pôle fédératif de recherche et de formation en santé publique Bourgogne Franche-Comté (2025). Aide au diagnostic et au repérage ajusté du comportement sexuel problématique chez l’enfant. Projet de recherche AIDAO-CSP.

Comment récupérer des documents broyés à la déchiqueteuse - police scientifique - Forenseek

Reconstruction de documents déchirés

Quand un document a été déchiré ou broyé, l’enquêteur se retrouve face à un puzzle dont on a perdu la boîte, l’image de référence et parfois même une partie des pièces. Pourtant, l’information contenue dans ces fragments peut changer le cours d’une affaire : un chiffre sur un contrat, un nom dans un tableau, une annotation manuscrite dans la marge. La question n’est donc pas seulement “peut-on reconstituer ?”, mais “peut-on le faire de façon fiable, traçable, et suffisamment rapide pour être utile à l’enquête ?”.

Pourquoi la reconstitution est difficile

Dans la pratique forensique, les fragments sont rarement propres et réguliers. Ils varient par la forme, la taille, la texture du papier, la densité d’encre et l’orientation. Lorsque plusieurs documents ont été détruits ensemble, les morceaux s’entremêlent et produisent des ambiguïtés visuelles : deux bords peuvent sembler compatibles sans l’être, deux polices différentes peuvent paraître proches, et des zones uniformes, un fond clair, une photographie sans détail, n’offrent quasiment aucun indice. Les approches dites “edge matching”, qui cherchent des continuités au niveau des bords et des motifs, fonctionnent assez bien sur de petits lots. Mais dès que le nombre de fragments augmente, le nombre de combinaisons explose et ces méthodes peinent à départager les hypothèses concurrentes.

L’idée : apprivoiser le hasard pour mieux explorer

L’optimisation stochastique propose une autre manière d’aborder le problème. Plutôt que d’essayer d’atteindre immédiatement la configuration parfaite, l’algorithme génère des assemblages plausibles, les évalue, et accepte parfois des choix “imparfaits” afin de continuer à explorer l’espace des solutions. Cette stratégie, inspirée des probabilités, alterne en permanence entre deux mouvements complémentaires : l’exploration, qui visite des pistes nouvelles pour éviter les impasses, et l’exploitation, qui consolide les bonnes intuitions déjà trouvées. Concrètement, chaque proposition d’assemblage reçoit un score fondé sur la continuité visuelle (alignement des lettres, prolongement de traits, raccords de texture et de couleur). Si la cohérence s’améliore, l’hypothèse est adoptée ; si elle est moins bonne, elle peut tout de même être tolérée un temps, pour vérifier qu’elle n’ouvre pas sur une meilleure configuration plus loin. Cette logique souple distingue la méthode des approches plus rigides telles que le recuit simulé ou certains algorithmes génétiques. Elle s’accommode mieux de la variabilité réelle des documents et des mélanges de fragments, et elle laisse la porte ouverte à une interaction légère de l’opérateur lorsque nécessaire.

Ce que montrent les essais

Les auteurs rapportent des tests à grande échelle sur plus d’un millier de documents déchirés hétérogènes (impressions bureautiques, manuscrits, images et pages mixtes). Les résultats convergent vers une observation intuitive pour tout expert : plus un document est riche en contenu (texte dense, trames, motifs), plus la reconstitution gagne en vitesse et en précision. À l’inverse, les zones uniformes exigent davantage d’itérations, car elles offrent peu de points d’ancrage visuels. Dans les cas les plus délicats, l’ajout ponctuel d’indices par l’opérateur, par exemple valider un raccord ou indiquer l’orientation probable d’un fragment, suffit à guider l’algorithme sans compromettre la reproductibilité globale.

Une validation sur un défi de référence

Pour éprouver l’approche en conditions proches du terrain, les chercheurs l’ont confrontée à des jeux de fragments inspirés du DARPA Shredder Challenge, un jalon bien connu où l’on tente de reconstituer des documents broyés en très petites bandes ou en confettis. La méthode est parvenue à reconstruire des pages lisibles et cohérentes là où d’autres techniques échouaient ou s’essoufflaient. Ce n’est pas seulement un résultat académique : c’est une preuve que l’algorithme tient la route lorsque les contraintes se rapprochent d’un contexte d’enquête, avec des fragments nombreux, mélangés et parfois abîmés par la manipulation ou la numérisation.

Intérêt pour la pratique forensique

Au-delà des performances brutes, la valeur d’une telle méthode se mesure à son intégration dans un flux de travail probant. La reconstitution initiale, habituellement la plus chronophage, peut être automatisée en grande partie, libérant du temps pour l’analyse de contenu. Surtout, la démarche se prête à une traçabilité fine : journal des hypothèses testées, paramètres retenus, seuils d’acceptation, captures intermédiaires. Ces éléments permettent de documenter la chaîne de conservation, d’expliquer les choix techniques devant un magistrat et, si nécessaire, de reproduire la procédure.

Dans les laboratoires, l’intégration est facilitée si l’on adopte des pratiques d’acquisition rigoureuses comme une numérisation à haute définition, un fond neutre, un calibrage colorimétrique et l’archivage des fichiers sources. Un pré-tri physique des fragments, par grammage, teinte, présence d’images, améliore aussi la robustesse en réduisant les ambiguïtés dès l’entrée.

Limites et pistes d’amélioration

Comme toute méthode d’optimisation, celle-ci dépend d’un paramétrage pertinent. Des seuils trop stricts bloquent l’exploration ; des critères trop laxistes la rendent erratique. Les lots fortement mélangés, composés de documents visuellement proches (même mise en page, mêmes polices), restent difficiles et requièrent parfois une intervention humaine pour éviter les confusions. Les micro-fragments issus de broyeurs très fins constituent un autre défi : moins il y a de surfaces visibles, plus l’algorithme manque de prises. Des progrès sont attendus sur la robustesse aux artefacts de numérisation, sur l’automatisation des étapes de pré-tri et, plus largement, sur l’évaluation standardisée des performances (précision des raccords, complétude des pages, temps de calcul, etc.), pour faciliter la comparaison entre méthodes.

En conclusion

La reconstitution de documents déchirés ne relève plus seulement de la patience et de l’intuition de l’expert. L’optimisation stochastique apporte un moteur d’exploration capable de traiter des volumes importants, de composer avec l’incertitude et d’aboutir à des assemblages exploitables. En combinant automatisation, traçabilité et supervision par un expert lorsque c’est nécessaire, elle transforme un “puzzle impossible” en procédure méthodique, au service de la preuve matérielle, du renseignement et de la sauvegarde d’archives endommagées.

Références :

Institut National de Criminalistique et Criminologie de Belgique - Fibres police scientifique

Les fibres textiles pour aider à comprendre l’activité criminelle

L’éternelle question qui se pose dans bon nombre d’enquêtes criminelles est sans doute la suivante : que s’est-il réellement passé ? Cette question, en apparence anodine, est souvent difficile à élucider, même si les volets tactiques et scientifiques de l’enquête criminelle disposent à l’heure actuelle de technologies de pointe pour les éclairer. S’ajoute à cela le fait que la victime soit décédée dans le cas d’un meurtre, que la personne suspectée soit incomplète dans ses déclarations ou encore que plusieurs suspects / témoins proposent des versions contradictoires. Les enquêteurs n’ont alors d’autre choix que de se tourner vers des indices qui pourraient les renseigner sur le modus operandi des faits.

L’activité comme leitmotiv

Le déroulement de faits criminels implique souvent une activité intense qui contraste avec l’activité routinière de notre vie quotidienne. Si l’on prend l’exemple d’un meurtre à mains nues, l’action criminelle implique très certainement une bagarre initiale, un étranglement pour causer la mort et possiblement un déplacement du corps pour tenter de dissimuler les faits. Cette activité implique de multiples contacts entre la victime et son agresseur et par conséquent, un transfert de traces tel que l’explique Edmond LOCARD dans son traité de Criminalistique.

Vérifier la présence ou l’absence de traces est la première étape indispensable dans l’enquête criminelle. Cette recherche préliminaire peut déjà apporter des indices sérieux d’une action criminelle ou de la présence du suspect sur le lieu des faits. Toutes les traces ne sont cependant pas directement visibles, comme par exemple l’ADN de contact ou les microtraces. Des prélèvements pertinents aideront à obtenir par la suite des indices supplémentaires via des analyses de laboratoire. Il convient tout de même de rappeler que l’absence de traces n’indique pas toujours l’absence de contact et que la présence de traces peut aussi être légitime.

Tenter de comprendre le modus operandi des faits va demander de considérer les indices non plus sous l’angle de leur présence ou de leur absence, mais plutôt par le biais de leur quantité et / ou de leur localisation. Dans le cas des fibres textiles, la littérature forensique a démontré que des contacts intenses et / ou répétés (comme dans une action criminelle) engendrent le transfert d’une plus grande quantité de traces que de simples contacts du quotidien (comme dans une action légitime). Quant à la localisation des traces, elle est souvent liée à l’endroit où s’est exercée l’action la plus intense, telle que par exemple la zone du cou dans une manœuvre d’étranglement. L’activité qui s’est exercée durant les faits criminels peut dès lors être envisagée via la quantité de traces de fibres textiles retrouvées et leur localisation.

Expertise de fibres en police scientifique - Forenseek

Figure 1 : Différentes manières de représenter la localisation des traces de fibres sur le corps de la victime, en vue d’illustrer le rapport d’expertise de fibres et de faciliter la compréhension des zones de contact. L’image colorée (en haut à gauche) symbolise la photographie réelle faite sur la scène de crime. Les trois autres images représentent une version schématique du corps issue de cette photographie. La position et la concentration des traces de fibres peut être schématisée par des petits symboles colorés (ici des points orangés) ou par coloration des bandes adhésives via une échelle de gradation de couleur.  © 2015 The Chartered Society of Forensic Sciences. Published by Elsevier Ireland Ltd. All rights reserved

L’absence de traces n’indique pas toujours l’absence de contact et que la présence de traces peut aussi être légitime.

Les microtraces de fibres textiles

Les fibres textiles – entités microscopiques et matériau de base d’une matière textile – sont généralement disponibles de manière protubérante à la surface des vêtements, d’où elles peuvent être transférées par contact. L’échange de microtraces de fibres entre la victime et son agresseur intervient typiquement lors de la friction de leurs vêtements, en particulier dans les zones où le contact est le plus intense voire répété. A noter que les fibres se transfèrent également sur d’autres supports comme la peau et les cheveux. Les traces de fibres échangées sont alors une indication microscopique qu’un contact a eu lieu et elles ne demandent qu’à être révélées !

Les microtraces de fibres textiles sont habituellement invisibles à l’œil nu et requièrent de procéder à un prélèvement systématique. La technique de collecte la plus répandue au niveau européen est l’application de bandes adhésives sur toute la surface porteuse des traces (aussi nommée taping ou tape-lifting). La manière d’apposer les bandes adhésives dépend des conditions de travail ou du but recherché. Une application « zonale » (chaque bande adhésive utilisée est tamponnée à plusieurs reprises pour couvrir une zone plus large que ses dimensions propres) peut être considérée comme suffisante si le prélèvement consiste à préserver rapidement les traces ou que le vêtement a déjà été fortement manipulé, par exemple sous l’action des services d’urgence. A contrario, si une localisation précise des traces est souhaitée, l’application idéale est la technique « 1 : 1 » (chaque bande adhésive utilisée est apposée à une seule reprise pour couvrir une zone équivalente à ses dimensions propres, les bandes étant apposées bord à bord pour couvrir une surface plus large). Plus la technique de prélèvement est précise, plus la localisation des traces et leur quantité apparaîtra de manière évidente sur le schéma des traces qui sera établi après l’exploitation des prélèvements. Notons que la technique « 1 : 1 » est à recommander si des traces de sang ou d’ADN de contact doivent être exploitées sur les vêtements, car la technique « zonale » risque de disperser ou de diluer les traces biologiques.

La recherche des microtraces de fibres sur les bandes adhésives est encore et toujours manuelle. Faute d’appareillage automatisé, l’opérateur de laboratoire examine chaque bande adhésive sous le binoculaire et y recherche la présence de traces pertinentes. Si le suspect portait par exemple un T-shirt en coton rouge, l’opérateur qui examine les prélèvements réalisés sur la victime va cibler son attention sur les fibres de coton rouge de même nuance que celle du T-shirt suspect. Les traces sont habituellement marquées au feutre indélébile sur la bande adhésive, ce qui permet facilement de les localiser et de les dénombrer.

L’étape suivante consiste à analyser une partie voire la totalité des traces, après les avoir extraites de la bande adhésive et reconditionnées de manière individuelle sur une lamelle de verre correctement labélisée pour assurer leur traçabilité. La littérature forensique indique qu’une discrimination idéale est obtenue en combinant un examen microscopique à haut grossissement (typiquement 400×) et une mesure objective de la couleur de la fibre (via son spectre d’absorption en micro-spectrophotométrie). La composition chimique des fibres synthétiques est vérifiée si nécessaire par spectroscopie infra-rouge. Les traces démontrant les mêmes propriétés que les fibres du vêtement de comparaison sont dites correspondantes ou indiscernables du point de vue analytique.

Sans indication sur les vêtements portés par l’auteur des faits, le même genre de travail peut être réalisé, mais alors de manière investigative.

Connaissant la quantité et la localisation des traces dites correspondantes, il est alors possible d’établir une cartographie des traces sur le corps de la victime, si les prélèvements ont concerné la totalité du corps (vêtements, peau et cheveux) de la victime décédée. Un schéma plus simple des traces peut aussi être établi si a minima les vêtements de la victime ont été prélevés rapidement après leur saisie.

Sans indication sur les vêtements portés par l’auteur des faits, le même genre de travail peut être réalisé, mais alors de manière investigative. L’opérateur de laboratoire doit alors repérer sur les bandes adhésives les fibres de même aspect (forme et couleur) qui reviennent de manière récurrente et qui sont étrangères aux vêtements de la victime. Les traces marquées par l’opérateur sont ensuite analysées afin de vérifier qu’elles forment bien un groupe de traces indiscernables du point de vue analytique. Dans l’affirmative, les propriétés du groupe de fibres (notamment la couleur et la composition chimique) peuvent être communiquées aux enquêteurs dans l’idée de cibler des vêtements suspects lors de futures perquisitions. Ces vêtements pourront par la suite être utilisés comme matériel de comparaison pour les traces de fibres, ou encore exploités à la recherche d’autres types de traces comme du sang ou de l’ADN de contact.

La recherche de microtraces de fibres est ici principalement présentée sous l’angle de vue d’un contact criminel entre une victime et son meurtrier, avec un prélèvement systématique de microtraces sur le corps de la victime, réalisé sur le lieu des faits. Ceci découle d’une procédure standardisée d’application notamment en Belgique. Le prélèvement et la recherche de microtraces de fibres sont bien sûr possibles sur d’autres substrats que le corps ou les vêtements de la victime, à commencer par les vêtements d’un suspect, les sièges ou le coffre d’un véhicule, un couteau ou tout autre objet utilisé comme arme, etc.

L’expertise de fibres textiles est un domaine forensique généralement méconnu, dont l’utilité est souvent sous-estimée.

Expertise de fibres en police scientifique - Forenseek

Figure 2 : Technique de prélèvement de microtraces par bandes adhésives apposées sur le corps d’une victime. La technique « 1:1 » est illustrée (à gauche) avec des bandes adhésives de petite dimension qui épousent la morphologie du corps et (au centre) avec des bandes adhésives plus larges qui assurent un prélèvement plus rapide (« semi-1 : 1 »). La technique « zonale » est illustrée (à droite) via la division fictive du corps en plusieurs zones qui seront tour à tour tamponnées via des bandes adhésives.  © 2015 The Chartered Society of Forensic Sciences. Published by Elsevier Ireland Ltd. All rights reserved.

Le rôle important de l’expert en fibres

L’expertise de fibres textiles est un domaine forensique généralement méconnu, dont l’utilité est souvent sous-estimée. A l’instar d’autres traces matérielles, elle ne permet pas de mener à l’identification d’une personne comme source de la trace collectée, ce qui paraît a priori être une lacune. C’est pourquoi l’expertise de fibres ne doit pas être considérée en opposition aux analyses ADN, mais plutôt comme une expertise d’utilité complémentaire : l’ADN menant souvent à l’identification, les fibres potentiellement à l’activité criminelle !

Le rôle de l’expert est crucial dans une expertise de fibres et sa principale mission, au-delà de communiquer ses observations analytiques, est d’informer le futur lecteur de son rapport sur la portée des résultats analytiques. Là où l’expert en ADN peut, sans risque de mécompréhension, rapporter une correspondance de profil génétique entre le suspect et la trace prélevée sur le cou de la victime, l’expert en fibres se doit de nuancer la correspondance entre les traces de fibres et les vêtements suspects.

Le principal critère permettant de nuancer une correspondance est ce que l’on appelle la rareté des fibres analysées. La littérature forensique met en lumière les types de fibres les plus fréquents comme étant principalement le coton puis dans une plus petite mesure le polyester, en particulier de couleur noire, grise ou bleue. Ces types de fibres peuvent donc conduire à une correspondance fortuite, due à leur manque de rareté dans le monde textile. Les autres types de fibres peuvent être considérés comme plus rares et ainsi apporter plus de poids à la correspondance analytique établie entre les traces et les vêtements du suspect. Au-delà de la littérature disponible, l’idéal dans la détermination de la rareté est de disposer d’une base de données de fibres ou d’une solide expérience de plusieurs années dans le domaine. La création d’une base de données européenne est un sujet toujours en discussion depuis une bonne décennie et constitue un terreau fertile pour espérer aboutir à sa création effective dans la prochaine décennie.

Une manière transparente de nuancer les résultats de l’expertise de fibres est de formuler des conclusions pondérées provenant d’une démarche évaluative, notamment via l’approche évaluative de type bayésienne. Pour ce faire, l’expert travaille sur base de deux hypothèses et vérifie la vraisemblance des résultats analytiques selon l’une et l’autre hypothèse. Les hypothèses peuvent être formulées à différents niveaux, mais le leitmotiv de l’expertise de fibres demeure plus que probablement l’activité. Le niveau de l’activité va typiquement formuler ce que l’on reproche au suspect dans la première hypothèse (habituellement dite à charge) et ce que le suspect explique dans la seconde hypothèse (habituellement dite à décharge). Ainsi, l’expert est certain de considérer les deux points de vue (accusation et défense) dans l’évaluation des résultats de son expertise. Dans cette évaluation, l’expert va bien sûr intégrer la rareté des fibres analysées, mais également la quantité et la localisation des traces, ainsi que d’autres facteurs propres aux conditions du dossier traité (transfert, persistance, bruit de fond, etc.). L’évaluation fera pencher la balance en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse, avec un certain poids. Cette pondération est expliquée dans une annexe au rapport d’expertise, afin que le lecteur puisse comprendre la force (faible, modérée ou forte) des conclusions. De manière générique, une expertise de fibres peut typiquement produire des conclusions fortes en faveur de contacts intenses entre le suspect et la victime, par opposition aux contacts légitimes que le suspect explique. Le schéma des traces sur le corps de la victime viendra, en appui des conclusions, indiquer les zones de contact préférentielles sur le corps de la victime. En fin de compte, un suspect donnant des explications crédibles sur sa présence ou celle de son ADN sur le lieu des faits peut tout de même se retrouver trahi par ses vêtements !

Références :

  • De Wael, Lepot, Lunstroot & Gason, 10 years of 1:1 taping in Belgium— A selection ofmurder cases involving fibre examination, Science & Justice 56 (2016) 18-28.
  • Lau, Spindler & Roux, The transfer of fibres between garments in a choreographed assault scenario, Forensic Science International 349 (2023) 111746.
  • Sheridan et al., A quantitative assessment of the extent and distribution of textile fibre transfer to persons involved in physical assault, Science & Justice 63 (2023) 509-516.
  • Lepot, Lunstroot & De Wael, Interpol review of fibres and textiles 2016-2019, Forensic Science International: Synergy 2 (2020) 481-488.
  • Lepot, Vanhouche, Vanden Driessche & Lunstroot, Interpol review of fibres and textiles 2019-2022, Forensic Science International: Synergy 6 (2023) 100307.
  • ENFSI, Guideline for evaluative reporting in forensic science, v3.0, https://enfsi.eu/wp-content/uploads/2016/09/m1_guideline.pdf

Quand la forêt cache la vérité : comment le LiDAR aéroporté peut aider les enquêteurs en cas de disparition

Des disparitions difficiles à élucider :

Chaque année en France, près de 40 000 personnes sont signalées disparues. En 2022, l’association ARPD a comptabilisé 60 000 « disparitions inquiétantes », dont 43 200 mineurs ; environ 1 000 dossiers restent, en pratique, sans solution [1,2]. Avec le temps, la probabilité de retrouver une personne disparue, vivante ou simplement ses restes, chute drastiquement. La densité végétale des sous-bois voire des forêts constitue alors un obstacle majeur, rendant inefficaces aussi bien l’observation aérienne que les capacités olfactives des chiens de recherche [3]. Dans les territoires ultra-marins comme la Martinique, les disparitions sont également nombreuses et la topographie des principales zones de disparition sont un véritable frein aux battues et à l’utilisation de moyens plus conventionnels pour rechercher une personne disparue [4,5]. Des télépilotes de drones de la Gendarmerie Nationale sont souvent requis pour des recherches mais les drones utilisés ne sont équipés que d’un capteur optique qui peine à détecter quoi que ce soit au travers de la végétation. Malgré tout, les drones ne sont pas inutiles en termes de missions de sauvetage, leur utilisation est très répandue aux Etats-Unis pour localiser des personnes accidentées dans la nature, pour leur transmettre un moyen de communication voire des médicaments ou des provisions [6–8]. Lorsque la canopée et la végétation dense rendent les recherches classiques inefficaces, une alternative s’impose : le LiDAR (Light Detection And Ranging). Déjà éprouvé dans de nombreux domaines dont l’archéologie, il pourrait apporter une véritable valeur ajoutée aux enquêtes judiciaires en milieu forestier [9–11].

Le pari du LiDAR

Le capteur LiDAR envoie jusqu’à 240 000 impulsions laser par seconde ; il mesure le temps que met chaque rayon à revenir à l’émetteur après avoir heurté un obstacle, reconstituant un nuage de points 3D [12]. Même si un gros pourcentage des faisceaux rebondit sur les feuilles, le reste atteint le sol et dessine son relief. On peut sélectionner une tranche de hauteur précise, par exemple, entre 15 et 50 cm au-dessus du sol supprimant de facto la canopée. Cette sélection donne accès aux différents volumes présents. Un corps ou un objet peuvent s’y distinguer du relief naturel [13].

Un test grandeur nature en Isère

En avril 2024, une équipe composée d’un anthropologue judiciaire et d’un spécialiste du télé pilotage et du capteur LiDAR a installé un volontaire allongé dans un bosquet de Montbonnot-Saint-Martin (Isère) ; afin de vérifier si un corps humain pouvait laisser une signature détectable par le capteur et ce malgré une densité de végétation importante. Le terrain, de 0,8 ha, recensait 721 arbres/ha et affichait un indice de végétation par différence normalisée (NDVI) entre +0,6 et +1, preuve d’une canopée particulièrement épaisse [13–15].

Deux capteurs LiDAR

Capteur (DJI)Échos max./pointVitesse de vol% de points « sol »Verdict
Zenmuse L131,9 m/s0,11 %Le corps est difficilement repérable
Zenmuse L252 m/s0,26 %Silhouette détectée en quelques clics

A la manière d’un GPS (Global Positioning System), l’écran de la radiocommande du drone permet d’avoir une vue au zenith de la zone de recherche. Lorsqu’une mission est programmée, une aire est renseignée et le logiciel du drone trace la route qu’il devra emprunter. Le drone avance en ligne droite puis arrivé à la limite de la zone opère une rotation à 90° avance, fait une nouvelle rotation de 90° et poursuit sa course dans le sens inverse. Lorsque le drone revient sur ses pas, le rayonnement du LiDAR recouvre le précédent passage permettant une acquisition sur et sous la canopée plus importante (figure 1).

Recherche de personnes en cas de disparition

Figure 1 : Schématisation du parcours d’un drone. Les bandes grises représentent les zones scannées par le LiDAR. Les zones gris foncé représente le recouvrement du faisceau qui s’opère à chaque passage du drone.

Le test démontre que, même sous canopée dense, un LiDAR de dernière génération peut capter suffisamment de points au sol pour détecter un corps en surface

À l’issue d’un vol de 7 minutes, les données sont importées dans DJI Terra Pro puis TerraSolid. Le filtrage sur la tranche 0,15–0,50 m met en évidence une sur-densité caractéristique à l’emplacement du volontaire. La comparaison avec une acquisition témoin sans corps permet de distinguer les anomalies naturelles (rochers, souches) et de préparer une matrice de vrais/faux positifs destinée à mesurer la robustesse statistique de l’alerte.

Météo, règlementation : les freins du terrain

Le test démontre que, même sous une canopée dense, un LiDAR de dernière génération peut capter suffisamment de points au sol pour détecter un corps en surface (figure 2). La sélection d’une bande de hauteur adaptée est essentielle pour réduire le bruit issu des rochers ou troncs. Les conditions météorologiques (pluie, brouillard, vent > 30 km/h) restent limitantes, tout comme l’autonomie du drone et les contraintes réglementaires de distance.

Recherche de personnes en cas de disparition

Figure 2 : A : acquisition sans corps disposé au sol, B : acquisition avec disposition au sol du volontaire.

L’intérêt est d’évaluer jusqu’à quel degré de décomposition les corps laisse une signature détectable par le LiDAR

Et pour la suite ?

Le LiDAR aéroporté offre un outil non destructif pour localiser des restes humains sous la végétation et documenter la topographie d’une scène en trois dimensions avant toute fouille, garantissant un accès en toute sécurité au corps. Son déploiement rapide (matériel léger, un à deux opérateurs) représente une alternative moins coûteuse et plus sûre que les battues humaines ou les vols hélicoptère dans un relief difficile.

Dans un premier temps, les recherches s’orientent plus sur la détection de corps de volontaires vivants mais pour les cas où les personnes sont supposées décédées, les tests devront être effectués sur des corps en état de décomposition. L’intérêt est d’évaluer jusqu’à quel degré de décomposition les corps laisse une signature détectable par le LiDAR. Ce genre de recherche ne peut avoir lieu en France à ce jour, des collaborations avec des laboratoires étrangers sont donc envisagées. Une autre possibilité serait de compléter l’utilisation du LiDAR avec d’autres capteurs comme les capteurs thermographiques ou multispectraux. Le capteur thermographique permettrait de détecter des sources de chaleurs liées à l’activité entomologique sur le corps [16]. Les capteurs multispectraux permettraient de détecter les modifications chimiques du sol ou de la végétation au fil du temps toujours en lien avec la putréfaction des corps [17,18].

En l’espace de quelques heures seulement, un simple nuage de points bruts se transforme en zone prioritaire à explorer

En conclusion

Cette étude démontre qu’un pourcentage infime de points “au sol” peut suffire à révéler la présence d’un corps dans une végétation habituellement considérée comme impénétrable. En l’espace de quelques heures seulement, un simple nuage de points bruts se transforme en zone prioritaire à explorer, réduisant à la fois l’étendue des recherches et l’attente anxieuse des familles. Reste à confirmer ces résultats sur d’autres types de forêts et avec de véritables donneurs, mais le LiDAR ouvre déjà une brèche dans l’opacité des disparitions.

Les résultats confirment que les capteurs LiDAR aéroportés sont capables de mettre en évidence la présence d’un corps dans des environnements fortement végétalisés. Dans les conditions les plus denses, la densité de points au sol a atteint 0,26 %. L’étude met en lumière la nécessité de perfectionner les techniques de post-traitement, en particulier la sélection des points du nuage et l’élaboration d’analyses de vrais/faux positifs, afin d’optimiser la fiabilité de la détection. Enfin, l’intégration de capteurs complémentaires, tels que les capteurs thermiques ou multispectraux, apparaît comme une piste prometteuse pour identifier plus finement les anomalies thermiques et les marqueurs chimiques associés à la décomposition.

Bibliographie

[1] ARPD | ARPD, (n.d.). https://www.arpd.fr/fr (accessed February 28, 2024).

[2] M. de l’Intérieur, Disparitions inquiétantes, http://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-dossiers/2015-Dossiers/L-OCRVP-au-caeur-des-tenebres/Disparitions-inquietantes (accessed April 17, 2024).

[3] U. Pietsch, G. Strapazzon, D. Ambühl, V. Lischke, S. Rauch, J. Knapp, Challenges of helicopter mountain rescue missions by human external cargo: Need for physicians onsite and comprehensive training, Scandinavian Journal of Trauma, Resuscitation and Emergency Medicine 27 (2019). https://doi.org/10.1186/s13049-019-0598-2.

[4] C. Gratien, La mort de Benoit Lagrée officiellement reconnue, Martinique La 1ère (n.d.).

[5] Disparition de Marion à la Dominique : où en sont les recherches ?, guadeloupe.franceantilles.fr (2024). https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/faits-divers/disparition-de-marion-a-la-dominique-ou-en-sont-les-recherches-976553.php (accessed October 25, 2024).

[6] C. Van Tilburg, First Report of Using Portable Unmanned Aircraft Systems (Drones) for Search and Rescue, Wilderness & Environmental Medicine 28 (2017) 116–118. https://doi.org/10.1016/j.wem.2016.12.010.

[7] Y. Karaca, M. Cicek, O. Tatli, A. Sahin, S. Pasli, M.F. Beser, S. Turedi, The potential use of unmanned aircraft systems (drones) in mountain search and rescue operations, The American Journal of Emergency Medicine 36 (2018) 583–588. https://doi.org/10.1016/j.ajem.2017.09.025.

[8] H.B. Abrahamsen, A remotely piloted aircraft system in major incident management: Concept and pilot, feasibility study, BMC Emergency Medicine 15 (2015). https://doi.org/10.1186/s12873-015-0036-3.

[9] J.C. Fernandez-Diaz, W.E. Carter, R.L. Shrestha, C.L. Glennie, Now You See It… Now You Don’t: Understanding Airborne Mapping LiDAR Collection and Data Product Generation for Archaeological Research in Mesoamerica, Remote Sensing 6 (2014) 9951–10001. https://doi.org/10.3390/rs6109951.

[10]    T.S. Hare, M.A. Masson, B. Russell, High-Density LiDAR Mapping of the Ancient City of Mayapán, Remote. Sens. 6 (2014) 9064–9085.

[11]    N.E. Mohd Sabri, M.K. Chainchel Singh, M.S. Mahmood, L.S. Khoo, M.Y.P. Mohd Yusof, C.C. Heo, M.D. Muhammad Nasir, H. Nawawi, A scoping review on drone technology applications in forensic science, SN Appl. Sci. 5 (2023) 233. https://doi.org/10.1007/s42452-023-05450-4.

[12]    Zenmuse L2, DJI (n.d.). https://enterprise.dji.com.

[13]    P. Nègre, K. Mahé, J. Cornacchini, Unmanned aerial vehicle (UAV) paired with LiDAR sensor to detect bodies on surface under vegetation cover: Preliminary test, Forensic Science International 369 (2025) 112411. https://doi.org/10.1016/j.forsciint.2025.112411.

[14]    S. Li, L. Xu, Y. Jing, H. Yin, X. Li, X. Guan, High-quality vegetation index product generation: A review of NDVI time series reconstruction techniques, International Journal of Applied Earth Observation and Geoinformation 105 (2021) 102640. https://doi.org/10.1016/j.jag.2021.102640.

[15]    Z. Davis, L. Nesbitt, M. Guhn, M. van den Bosch, Assessing changes in urban vegetation using Normalised Difference Vegetation Index (NDVI) for epidemiological studies, Urban Forestry & Urban Greening 88 (2023) 128080. https://doi.org/10.1016/j.ufug.2023.128080.

[16]    J. Amendt, S. Rodner, C.-P. Schuch, H. Sprenger, L. Weidlich, F. Reckel, Helicopter thermal imaging for detecting insect infested cadavers, Science & Justice 57 (2017) 366–372. https://doi.org/10.1016/j.scijus.2017.04.008.

[17]    J. Link, D. Senner, W. Claupein, Developing and evaluating an aerial sensor platform (ASP) to collect multispectral data for deriving management decisions in precision farming, Computers and Electronics in Agriculture 94 (2013) 20–28. https://doi.org/10.1016/j.compag.2013.03.003.

[18]    R.M. Turner, M.M. MacLaughlin, S.R. Iverson, Identifying and mapping potentially adverse discontinuities in underground excavations using thermal and multispectral UAV imagery, Engineering Geology 266 (2020). https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2019.105470.

Reconstruction faciale AI Forensic Police scientifique Forenseek Identification

Reconstruction faciale par IA : une avancée pour identifier les victimes de catastrophes

Quand les méthodes classiques d’identification atteignent leurs limites… En médecine légale, l’identification repose sur trois méthodes dites « primaires » : l’analyse génétique (ADN), les empreintes digitales et l’odontologie. Leur fiabilité n’est plus à démontrer, mais leur efficacité dépend des conditions dans lesquelles se trouvent les corps et de la disponibilité de données de comparaison. Dans les catastrophes de grande ampleur (séismes, crashs aériens, attentats), les cadavres peuvent être brûlés, mutilés ou décomposés, rendant l’ADN ininterprétable et les empreintes digitales illisibles. Dans d’autres cas, la difficulté vient de l’absence d’éléments ante-mortem : pas de dossier dentaire, pas d’enregistrement biométrique, voire aucun rattachement administratif officiel. Ces situations laissent les experts médico-légaux dans une impasse. C’est précisément dans ce contexte que des technologies innovantes, comme la reconstruction faciale par intelligence artificielle, ouvrent de nouvelles perspectives.

Une innovation issue de l’Université de Panjab

Avec la collaboration d’Ankita Guleria et de Vishal Sharma, le professeur Kewal Krishan a mis au point une méthode novatrice de reconstruction faciale assistée par intelligence artificielle. Leur modèle repose sur l’étude de trois structures osseuses réputées pour leur résistance aux altérations post-mortem : la mandibule, la mâchoire supérieure et la dentition. Ces éléments constituent une véritable empreinte morphologique, puisqu’ils influencent directement la largeur du menton, la proéminence des pommettes, la forme générale du visage et la position des lèvres.

En combinant ces données anatomiques avec une vaste base de mesures anthropométriques collectées auprès des populations du nord de l’Inde, les chercheurs ont réussi à entraîner un algorithme capable de générer un visage numérique dont l’apparence se rapproche fortement de celle de l’individu réel. Le résultat est impressionnant : une précision estimée à 95 %, ce qui représente un taux exceptionnel pour une méthode indirecte d’identification post-mortem. Cette innovation n’a pas tardé à attirer l’attention : elle a été officiellement enregistrée et protégée par le Copyright Office indien, ce qui souligne à la fois sa valeur scientifique et son caractère novateur sur le plan technologique.

Une précision remarquable mais des limites incontournables

Le chiffre de 95 % ne doit pas être compris comme la capacité de l’intelligence artificielle à produire un portrait photographique parfait. Il signifie plutôt que, dans la grande majorité des cas, les traits générés par l’algorithme correspondent étroitement à ceux de la personne réelle. Concrètement, le modèle restitue avec une grande fidélité les proportions générales du visage, assure une cohérence avec les principales caractéristiques morphologiques et parvient à créer une ressemblance suffisante pour orienter efficacement les recherches vers une identification ciblée.

Il convient toutefois de rappeler que cette technologie conserve une marge d’incertitude. Les tissus mous, tels que l’épaisseur des lèvres, la forme précise du nez, la texture de la peau ou encore les marques distinctives comme les rides et les cicatrices, ne peuvent pas être déduits uniquement de la structure osseuse. À cela s’ajoute une limite méthodologique : l’algorithme ayant été entraîné sur une population spécifique du nord de l’Inde, son efficacité pourrait diminuer lorsqu’il est appliqué à d’autres groupes ethniques ou géographiques.

Ces éléments montrent que la reconstruction faciale par intelligence artificielle doit être considérée avant tout comme un outil complémentaire, capable d’orienter et de soutenir le travail des experts, mais sans prétendre remplacer les méthodes primaires d’identification en médecine légale.

Enjeux éthiques et juridiques de la reconstruction faciale

L’usage de l’intelligence artificielle dans l’identification des victimes soulève des questions éthiques, juridiques et réglementaires qui ne peuvent être ignorées. Sur le plan éthique, la manipulation de données biométriques post-mortem exige une vigilance particulière. Restituer un visage à partir de restes humains ne doit jamais se faire au détriment de la dignité des défunts ni heurter la sensibilité des familles, d’autant que ces reconstructions, même lorsqu’elles sont scientifiquement solides, peuvent être perçues comme intrusives si elles sont diffusées sans précaution.

Sur le plan juridique, une autre interrogation se pose : Quelle valeur probante peut avoir une reconstruction faciale générée par une IA devant un tribunal ? Tant que les procédures n’ont pas défini le rôle exact de cet outil, son usage restera cantonné à une fonction d’orientation plutôt que de preuve formelle. La question des responsabilités, en cas d’erreur d’identification, reste également entière.

Enfin, sur le plan réglementaire, l’Europe impose un cadre strict. De telles applications devront se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD) et entrer dans le champ du règlement européen sur l’intelligence artificielle, qui encadre spécifiquement les usages considérés comme « à haut risque ». Autrement dit, la diffusion de cette technologie en contexte médico-légal dépendra autant de son efficacité scientifique que de sa capacité à s’inscrire dans un cadre légal clair et protecteur.

Quelles perspectives pour l’identification de victimes ?

Malgré ces contraintes, les perspectives offertes par la reconstruction faciale assistée par IA demeurent particulièrement encourageantes. Dans le cadre de catastrophes de masse, cette technologie pourrait être intégrée en complément des analyses ADN ou odontologiques afin d’accélérer le processus d’identification et de réduire le temps d’attente des familles. Elle pourrait aussi se révéler utile dans certaines enquêtes criminelles complexes, lorsqu’un corps est trop endommagé pour permettre l’exploitation des identifiants primaires. Enfin, elle ouvre des horizons en archéologie et en anthropologie, où elle permettrait de restituer l’apparence d’individus anciens dépourvus de traces génétiques exploitables.

Cette avancée témoigne de la rencontre croissante entre l’intelligence artificielle et les sciences médico-légales. Elle ne prétend pas remplacer les méthodes classiques d’identification, mais elle enrichit l’arsenal des experts en leur offrant une chance supplémentaire de redonner une identité à des victimes restées jusque-là anonymes.

Sources :

  • Guleria A., Krishan K., Sharma V. Methods of forensic facial reconstruction and human identification: historical background, significance and limitations. The Science of Nature, 110 (2023).
  • Guleria A. et al. Assessment of facial and nasal phenotypes: implications in forensic facial reconstruction. Archives of Biological Sciences, mars 2025.
  • Panjab University develops AI-based facial reconstruction models with up to 95 % accuracy using jaws and teeth dimensions. Indian Express, juillet 2025, consultable ici.
  • Panjab University secures copyright for AI tech that reconstructs faces from jaws. Hindustan Times, publié le 27 juillet 2025

Une loutre enquêtrice pour la recherche de corps immergés

Aux États-Unis, une loutre nommée Splash a été entraînée pour repérer des cadavres immergés grâce à son odorat hors du commun. Une initiative inédite en criminalistique qui ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche de corps dans les fleuves et les rivières. Alors qu’en France, quatre corps ont été découverts récemment dans la Seine, ce protocole pourrait inspirer les brigades fluviales de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale et renforcer l’efficacité des enquêtes judiciaires.

Les animaux au service de la criminalistique

Depuis des décennies, les animaux jouent un rôle majeur dans les enquêtes judiciaires et dans la police scientifique (Cf. odorologie et empreinte olfactive). Les chiens de recherche de cadavres sont aujourd’hui indispensables dans les enquêtes judiciaires : ils repèrent les effluves liés à la décomposition humaine et aident à localiser des corps enterrés ou dissimulés. Mais dans l’eau, ces méthodes se heurtent à de sérieuses limites : visibilité réduite, courants forts, profondeur variable. C’est dans ce contexte qu’est née une idée novatrice en Floride : confier cette mission à un animal parfaitement adapté à l’environnement aquatique. La loutre, agile, rapide et dotée d’un odorat exceptionnel, s’est imposée comme candidate idéale. L’association Peace River K9 Search & Rescue a ainsi lancé un programme inédit en entraînant Splash, une loutre cendrée devenue la première « loutre enquêtrice » au monde.

Un protocole d’entraînement inédit : des bulles d’air pour simuler un cadavre

L’entraînement de Splash repose sur un protocole précis et rigoureux. Dans le jardin de son dresseur, des piscines ont été aménagées pour créer un environnement contrôlé. L’eau y est imprégnée de bulles d’air contenant des composés organiques volatils, similaires à ceux émis par un corps humain en décomposition.

La mission de la loutre est claire : repérer ces bulles invisibles à l’œil humain. Lorsqu’elle identifie l’odeur, elle alerte immédiatement son dresseur en tirant sur le masque qu’il porte. Ce signal, simple mais efficace, permet de confirmer la présence d’une « cible ». Ce concept repose sur une capacité étonnante et encore peu étudiée : la loutre peut littéralement « goûter » les bulles d’air sous l’eau, et y détecter chimiquement des marqueurs spécifiques. Là où les plongeurs et les chiens rencontrent des limites, la loutre excelle grâce à son aptitude naturelle à évoluer dans des environnements complexes et opaques.

La loutre au service des enquêtes judiciaires

La police scientifique américaine suit de près ce projet. Le FBI et le Florida Department of Law Enforcement ont déjà exprimé leur intérêt pour cette méthode, qui pourrait accélérer les recherches lors d’enquêtes criminelles ou de catastrophes naturelles. Les applications sont multiples :

  • Retrouver des victimes de noyades, d’homicides ou de crues soudaines dans des lacs, étangs, fleuves ou rivières.
  • Localiser rapidement un corps immergé dans des zones à faible visibilité.
  • Compléter les moyens déjà existants (plongeurs, sonars, chiens).

Pour les enquêteurs et magistrats, ce gain de temps est crucial : la découverte d’un corps immergé peut fournir des preuves essentielles (traces de violences, analyses médico-légales) avant que les corps ne se dégradent davantage permettant d’orienter rapidement l’enquête judiciaire.

Et si la France s’inspirait de Splash ?

En France, la découverte de quatre corps dans la Seine le 13 août 2025 à Choisy-le-Roi (94) a rappelé à quel point la recherche de cadavres immergés reste complexe. Les brigades fluviales de la Gendarmerie Nationale et Police Nationale mobilisent déjà plongeurs, sonars et chiens pour localiser les victimes. Mais malgré ces moyens, certaines affaires demeurent non résolues faute de découverte de corps. L’utilisation d’animaux comme les loutres pourrait constituer un outil complémentaire. Leur odorat, leur rapidité et leur capacité à évoluer en immersion pourraient augmenter les chances de découverte, notamment dans un fleuve comme la Seine, où la visibilité est quasi nulle et où les courants entraînent parfois les corps loin de leur point d’immersion. Un tel dispositif pourrait aussi être utile dans d’autres contextes : barrages, canaux, grands étangs. En matière d’homicides ou de disparitions inquiétantes, chaque technologie ou protocole susceptible d’accélérer la localisation d’un corps représente un atout majeur pour l’enquête judiciaire.

Limites et questions éthiques

Si la méthode suscite l’intérêt, elle soulève aussi plusieurs questions. Former des loutres demande du temps, une expertise spécifique et une éthique irréprochable en matière de bien-être animal. L’intégration dans les dispositifs officiels nécessiterait des protocoles stricts, une validation scientifique et un cadre juridique adapté. Cependant, comme pour les chiens de recherche, les avantages sont tels qu’il ne parait pas illusoire d’imaginer une adoption progressive de cette approche. Les enquêteurs, confrontés à des affaires sensibles (homicides, disparitions), savent combien chaque outil supplémentaire peut s’avérer décisif.

Conclusion

L’histoire de Splash illustre une nouvelle synergie entre nature et criminalistique. Là où la technologie et les plongeurs atteignent leurs limites, les animaux, dotés de sens exceptionnels, rappellent que la police scientifique peut aussi puiser dans le vivant. Si l’hypothèse d’intégrer des loutres aux recherches de la brigade fluviale peut sembler atypique, elle représente néanmoins une piste sérieuse : accroître l’efficacité des investigations et améliorer les chances de retrouver rapidement des corps immergés.

Références :

  • IFLScience – Meet Splash, the world’s first search-and-rescue otter hunting for missing people in Florida, consultable ici.
  • Popular Science – This otter is training to be a search and rescue diver, consultable ici.
  • Interesting Engineering – US otter trained for underwater search and rescue, consultable ici.

La détection du rythme cardiaque comme outil anti-deepfake

Les vidéos truquées générées par intelligence artificielle, les deepfakes, deviennent de plus en plus réalistes, menaçant l’intégrité des preuves numériques. Pour répondre à ce défi, des chercheurs néerlandais ont développé une méthode innovante permettant de détecter les deepfakes à partir d’un paramètre biologique jusqu’ici négligé : le rythme cardiaque. Cette approche, encore en validation scientifique, pourrait devenir un outil précieux dans les enquêtes forensiques numériques.

Un signal biologique impossible à falsifier ?

À l’origine de cette innovation se trouve une équipe du Netherlands Forensic Institute (NFI), en collaboration avec l’Université d’Amsterdam. Leur méthode repose sur une technique nommée photopléthysmographie à distance (rPPG), qui permet de détecter les variations subtiles de couleur sur la peau du visage, notamment au niveau du front, des yeux ou de la mâchoire, causées par le passage du sang à chaque battement cardiaque. Or, les algorithmes générant les deepfakes actuels ne sont pas capables de simuler ces infimes variations de manière cohérente, ce qui ouvre une nouvelle voie pour identifier les falsifications.

Une idée relancée par les progrès technologiques

L’idée germe dès 2012, lorsque le professeur Zeno Geradts s’intéresse à des vidéos dans le cadre d’affaires criminelles afin de déterminer si les personnes filmées étaient effectivement décédées. À l’époque, une étude du MIT montrait qu’il est possible de détecter le rythme cardiaque à partir d’une vidéo faciale, mais les compressions vidéo rendaient ce signal inutilisable. Aujourd’hui, les technologies de compression préservent mieux les micro-variations visuelles. L’équipe du NFI a pu identifier 79 points faciaux d’intérêt où mesurer ce signal, qu’ils ont ensuite comparé à des données biométriques issues de capteurs cliniques ou de montres connectées. Les résultats sont prometteurs, même si certaines limites subsistent, notamment sur les peaux foncées.

Figure 1. Schéma de principe de la rPPG.
L’absorption et la réflexion de la lumière par la peau varient en fonction de l’état hémodynamique sous des sources lumineuses (lumière du soleil, lampes, etc.). Ces variations sont enregistrées par des dispositifs d’imagerie (caméras, webcams, objectifs de smartphones, etc.) sous forme de vidéos ou d’images. Grâce à une analyse algorithmique, il est possible d’extraire à partir de ces vidéos des courbes rPPG représentant des informations physiologiques.

Un outil complémentaire pour l’expertise numérique

La détection du rythme cardiaque ne remplace pas les méthodes d’authentification existantes, mais apporte une dimension supplémentaire précieuse à l’examen forensique des vidéos. D’autres approches restent cruciales dans le processus d’authentification, comme l’analyse des fréquences du réseau électrique (ENF) contenues dans les images, l’identification du capteur d’enregistrement via son empreinte numérique (PRNU), ou encore les analyses visuelles ou automatisées de clignements, de mouvements anormaux ou d’artéfacts de génération (comme les 6 doigts d’une main). En combinant ces méthodes, les experts peuvent renforcer la fiabilité des conclusions et anticiper les nouvelles tactiques des faussaires.

La robustesse vient toujours de la combinaison des méthodes classiques et IA, et non d’un outil unique.

Un jeu du chat et de la souris technologique

Face à ces nouvelles méthodes de détection, les concepteurs de deepfakes chercheront à les contourner. Il est probable qu’à l’avenir, des algorithmes tenteront d’ajouter artificiellement des signaux biologiques comme le rythme cardiaque dans leurs fabrications. Une veille technologique permanente s’impose pour maintenir une longueur d’avance. Comme le souligne Geradts, la robustesse vient toujours de la combinaison des méthodes classiques et IA, et non d’un outil unique.

Vers une intégration judiciaire ?

Cette approche n’est pas encore utilisée sur le terrain : elle est en cours de validation scientifique, avec une publication académique attendue dans les mois à venir. Mais les chercheurs espèrent que, dans des cas spécifiques, notamment avec des vidéos de haute qualité, cette méthode pourra rapidement être mise en œuvre. Une nouvelle voie prometteuse est alors ouverte dans la lutte contre la manipulation des preuves numériques, en s’appuyant sur une vérité difficile à contester : la physiologie humaine.

Références :

  • Geradts, Z., Pronk, P., & de Wit, S. (2025, mai). Heartbeat detection as a forensic tool against deepfakes. Présentation à l’European Academy of Forensic Science Conference (EAFS), Dublin.
  • Computer Weekly. (2025, 24 juillet). Dutch researchers use heartbeat detection to unmask deepfakes. Consulté ici.
  • ForensicMag. (2025, 30 mai). Scientist Develops Method to Use Heartbeat to Reveal Deepfakes. Consulté ici.
  • Amsterdam AI. (2025, 27 mai). Hartslaganalyse helpt deepfakes te ontmaskeren. Consulté ici.
  • DutchNews.nl. (2025, 25 mai). Dutch forensic experts develop deepfake video detector using heartbeat signals. Consulté ici.
  • Poh, M.-Z., McDuff, D., & Picard, R. W. (2010). Advancements in non-contact, automated cardiac pulse measurements using video imaging. Massachusetts Institute of Technology (MIT) Media Lab.

ADN de contact : une nouvelle approche pour mieux comprendre les traces laissées

Dans le cadre des enquêtes criminelles, l’analyse de l’ADN joue un rôle central pour identifier les auteurs de crimes et délits. Mais toutes les traces biologiques ne livrent pas les mêmes informations. L’ADN de contact, c’est-à-dire celui qui est laissé involontairement sur une surface après un simple toucher, demeure difficile à interpréter pour les experts en police scientifique.

Pourquoi certaines personnes laissent-elles plus d’ADN que d’autres ? Une étude récente, menée par l’équipe de la Flinders University en Australie, propose une méthode innovante pour objectiver cette variabilité. En s’intéressant à la propension individuelle à libérer des cellules cutanées, les chercheurs ouvrent de nouvelles perspectives en génétique forensique et en interprétation des traces sur les scènes d’infraction.

Une variabilité interindividuelle bien réelle

Certains individus, qualifiés de « bons donneurs », laissent naturellement une grande quantité de cellules de peau sur les objets qu’ils manipulent. D’autres, à l’inverse, n’en déposent que très peu. Cette différence, longtemps observée par les biologistes forensiques, complique la lecture des résultats ADN, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer la plausibilité d’un contact direct entre une personne et un objet.

Jusqu’à présent, il était difficile de quantifier cette variabilité de manière fiable et reproductible. C’est précisément ce que propose l’étude australienne, en fournissant un protocole scientifique rigoureux.

Un protocole de mesure simple et reproductible

Les chercheurs ont mis au point un protocole basé sur une série de contacts contrôlés réalisés par 100 participants, tous invités à toucher une surface standardisée. Les cellules déposées sont ensuite :

  • Colorées par un marqueur fluorescent,
  • Comptées par microscopie,
  • Soumises à une analyse génétique pour confirmer la présence d’ADN exploitable.

Résultat : pour 98 des 100 individus testés, le niveau de dépôt cellulaire s’avère stable et reproductible dans le temps. Ce protocole permet de classer les individus selon trois profils : fort, modéré ou faible donneur de cellules cutanées.

Un outil pour mieux contextualiser les traces ADN de contact

L’intérêt de cette méthode dépasse le simple cadre de la biologie. Elle peut devenir un outil de contextualisation judiciaire. Par exemple : Un suspect classé comme fort donneur pourrait expliquer la présence importante de son ADN sur un objet sans qu’il ait participé à l’infraction. À l’inverse, l’absence d’ADN chez un individu faiblement émetteur ne suffit pas à écarter l’hypothèse d’un contact.

Cette information pourrait être intégrée dans le calcul des rapports de vraisemblance utilisés en interprétation génétique, apportant ainsi plus de robustesse aux expertises judiciaires.

Quelles perspectives pour la police scientifique ?

La méthode proposée présente plusieurs avantages : Elle est peu coûteuse et facile à mettre en œuvre en laboratoire. Elle pourrait être adaptée à des objets variés et à des contextes réalistes (différentes surfaces, durées de contact, humidité…). Avant une adoption large, des validations supplémentaires sont nécessaires. Mais à terme, cet outil pourrait être intégré dans les pratiques d’analyses de traces biologiques et devenir un appui pour les magistrats et enquêteurs, dans l’évaluation du poids d’une preuve ADN.

Référence :

  • Petcharoen P., Nolan M., Kirkbride K.P., Linacre A. (2024). Shedding more light on shedders. Forensic Science International: Genetics, 72, 103065, consultable ici.
  • Flinders University. (2024, August 22). Heavy skin shedders revealed: New forensic DNA test could boost crime scene investigations. ScienceDaily, consultable ici.

Faire parler les lésions suspectes en cas de maltraitance infantile

Un cas clinique de maltraitance infantile marquant

Une équipe du laboratoire de pathologie histologique et microbiologie médico-légale de l’Université de Milan a enquêté sur un cas suspecté de maltraitance infantile ayant conduit au décès d’un enfant. Trois lésions circulaires évoquant des brûlures de cigarette ont été retrouvées sur le corps. Un mégot de cigarette prélevé à proximité vient étayer la suspicion d’un acte volontaire. L’enjeu était de déterminer si ces traces étaient le fruit d’un geste intentionnel ou non. Or, l’analyse visuelle et même l’histologie classique ne permettent pas toujours d’affirmer l’origine exacte de ce type de lésion. D’où l’intérêt de recourir à une méthode plus fine et objective.

La méthode SEM–EDX : Zoom microscopique sur la lésion

La microscopie électronique à balayage (SEM) permet d’observer la morphologie de la peau lésée avec une extrême précision, tandis que la spectroscopie à dispersion d’énergie des rayons X (EDX) identifie les éléments chimiques présents à la surface des lésions. Cette analyse s’est appuyée sur une calibration interne, appliquée à des prélèvements de la peau lésée et à des fragments de cigarette saisis sur les lieux.

Signatures élémentaires d’un acte intentionnel

Les résultats ont montré une lésion circulaire, au fond rougeâtre, compatible avec un contact thermique intense. La composition chimique détectée grâce à l’EDX contenait des éléments typiquement associés à la combustion de tabac, en particulier : l’anhydride sulfurique et l’anhydride phosphorique confirmant la combustion et non de simples résidus environnementaux. Associée aux signes histologiques observés, cette analyse a permis de conclure que la blessure était antérieure au décès, apportant un élément objectif d’un probable acte de maltraitance.

Un outil pour renforcer les expertises

L’étude démontre que l’analyse SEM–EDX, combinée à l’histologie, représente un progrès notable pour caractériser des lésions suspectes en contexte de maltraitance infantile. Elle permet de dépasser l’évaluation visuelle pour fournir des éléments objectifs et reproductibles, essentiels dans les contextes judiciaires. En dépassant les limites de l’examen visuel, cette approche offre des résultats fondés sur des données physico-chimiques reproductibles, renforçant ainsi la robustesse des conclusions médico-légales face aux exigences du cadre judiciaire.

Conclusion

Cette étude ouvre la voie à une intégration plus large de la microscopie analytique dans les pratiques médico-légales. En combinant rigueur scientifique et investigation judiciaire, elle propose une méthode robuste pour clarifier la nature des lésions dont l’origine reste souvent incertaine : L’approche pourrait également être adaptée à d’autres lésions, comme celles causées par des sources de chaleur ou de produits chimiques. Un progrès qui mérite d’être étendu et validé sur un nombre plus important de cas pour en affiner la fiabilité.

Références :

  • Tambuzzi S. et al. (2024). Pilot Application of SEM/EDX Analysis on Suspected Cigarette Burns in a Forensic Autopsy Case of Child Abuse. American Journal of Forensic Medicine & Pathology, 45(2), 135‑143. consultable ici.
  • Faller-Marquardt M., Pollak S., Schmidt U. (2008). Cigarette Burns in Forensic Medicine. Forensic Sci. Int., 176(2–3), 200–208
  • Maghin F. et al. (2018). Characterization With SEM/EDX of Microtraces From Ligature in Hanging. Am. J. Forensic Med. Pathol., 39(1), 1–7, consultable ici.
Comment la police scientifique allie mycologie et palynologie pour faire parler le sol en contexte médico-légal.

Comment la nature trahit la présence d’un cadavre ?

Une approche biologique pour détecter les tombes illégales

Dans le cadre d’un projet expérimental mené à Bogotá, deux fosses simulant des sépultures clandestines ont été creusées, l’une vide, l’autre contenant un cadavre de porc, substitut standard aux corps humains en science forensique. Les chercheurs ont collecté et analysé des échantillons de sol à différentes profondeurs pour y étudier la composition fongique et palynologique. L’objectif de l’étude était de déterminer si la présence de restes organiques décomposés modifie la communauté microbienne et végétale du sol, et si ces signatures biologiques pouvaient servir d’indicateurs temporels et spatiaux dans les enquêtes criminelles.

Une richesse fongique et pollinique révélatrice

Les résultats montrent que le sol des fosses contenant un cadavre présente une plus grande diversité de champignons, notamment des espèces comme Fusarium oxysporum ou Paecilomyces, dont la fréquence augmente en présence de décomposition. Ces organismes, capables de dégrader des composés riches en azote comme la kératine, pourraient indiquer l’existence de restes organiques enfouis.

Structures du champignon Fusarium oxysporum observées au microscope optique. A et B : macroconidies, C : chlamydospores. © David Esteban Duarte-Alvarado

Côté palynologie, les grains de pollen identifiés à 50 cm de profondeur, notamment Borago officinalis, Poa sp. et Croton sonderianus sont typiques de la saison sèche. En revanche, les pollens prélevés à 30 cm sont liés à la saison humide. Cette disposition successive permettrait de dater la période d’enfouissement et d’exhumation.

Intégrer la biologie du sol dans les enquêtes judiciaires

Cette étude est la première à apporter des données expérimentales sur la mycologie et la palynologie dans un contexte tropical équatorial, jusqu’alors peu exploré en science forensique. Elle ouvre la voie à une intégration plus systématique de ces disciplines dans l’analyse des scènes de crime impliquant des sépultures clandestines ou la recherche de corps enfouis. Bien que ces résultats soient préliminaires, ils démontrent la pertinence d’approches biologiques complémentaires aux méthodes médico-légales classiques, notamment dans des régions où les conditions climatiques modifient les dynamiques de décomposition.

Conclusion

Cette étude s’inscrit dans un champ de recherches plus large sur les indices biologiques laissés par des cadavres enfouis. Après les arbres et leurs racines qui peuvent signaler une présence souterraine anormale, ce sont ici les champignons et les pollens qui deviennent témoins silencieux des morts clandestines. Cette approche microbiologique vient enrichir les outils de l’archéologie forensique, telle que pratiquée par les experts de la gendarmerie nationale. En croisant les indices biologiques invisibles à l’œil nu avec les techniques classiques de fouilles et d’analyse stratigraphique, elle permet une lecture plus fine du sol et de son histoire criminelle.

Référence :
Tranchida, M. C., et al. (2025). Mycology and palynology: Preliminary results in a forensic experimental laboratory in Colombia, South America. Journal of Forensic Sciences.
Article complet disponible ici.