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La thanatologie médico-Légale

La thanatologie médico-légale consiste en l’étude des signes cadavériques visibles sur un corps depuis le décès de l’individu jusqu’à l’issue de sa squelettisation.

Issu du grec ancien thanatos « Dieu de la mort » et logos  « science », la thanatologie serait née en 1903 d’un esprit russe, le bactériologiste et médecin Elie METCHNIKOV, même si la littérature scientifique en accorde aussi la paternité aux Chinois.

Balbutiante dans la première moitié du XXème siècle, les horreurs de la guerre ont vu la thanatologie se développer vers 1950. Depuis, elle est devenue une discipline universitaire. Portée en France par l’enseignant Louis Vincent THOMAS, grand spécialiste d’anthropologie et de sociologie, ce dernier a publié nombre d’essais sur la thanatologie, comme lien entre la vie et la mort. Par ses écrits il a démystifié le passage à trépas en encourageant la pratique de la thanatologie comme source d’enrichissement de connaissances du corps humain.

Pluridisciplinaire, la thanatologie regroupe entre autres, la médecine légale, la biologie, et l’anatomie. Reposant sur des publications scientifiques et des observations empiriques, il est apparu que la thanatologie est elle-même évolutive, fonction des modes de vie, de l’évolution des civilisations, jusqu’à ses moindres détails tels que les habitudes alimentaires du défunt.

Dès le passage à trépas, nombre de modifications post mortem apparaissent sur le corps et se manifestent par des signes positifs visibles ou, négatifs, de par leur absence.
Aussi, le cadavre doit faire l’objet de toutes les attentions.
A chaque mort suspecte, l’exercice de la thanatologie aide l’enquêteur et le praticien légiste à dater le décès, deviner les derniers instants du vivant du sujet et approcher les causes de la mort.

En matière judiciaire, les objectifs de la thanatologie sont donc multiples : évaluation du délai post mortem, coïncidence de la position du corps au moment du décès et au moment de sa découverte, compatibilité temporelle avec de prétendus témoins … L’observance systématique du sujet décédé permet de donner des indices thanatologiques, de répondre à des abaques mathématiques préalablement établies  comme le nomogramme de Henssge ou la table de Vibert, : thanatologues précurseurs. Henssge a permis de créer un système d’équations lié au refroidissement du corps. Lorsque l’enquêteur obtient la température ambiante, la température du défunt et la température au moment des faits, ces trois données intégrées dans son nomogramme fixent un créneau horaire de décès.

Qu’il s’agisse du refroidissement cadavérique, des lividités (livor mortis)  ou de la rigidité (rigor mortis) le défunt nous livre d’amples renseignements qui orientent la Police Scientifique vers l’hypothèse d’un meurtre, d’un suicide ou d’une mort naturelle. Les lividités correspondent au sang contenu dans le corps humain, qui, sous l’effet de la gravité va rejoindre les zones déclives du corps, les parties les plus proches du sol, colorant ainsi les tissus cutanés d’une teinte violacée.

Un corps découvert pendu qui présenterait des lividités exclusivement sur sa partie supérieure insinuera une simulation de suicide puisque les lividités auraient dû, majoritairement, se situer sur les membres inférieurs de la victime. Le phénomène de rigidité provoque une grande raideur du corps qui apparait à partir de la deuxième heure suivant le décès et perdure jusqu’à trois jours environ après la mort. À l’issue, le cadavre retrouve sa souplesse. Un corps rigide est donc incompatible avec une mort supposée dater d’une semaine, ce qui peut valider ou invalider un témoignage ou l’alibi d’un suspect.

La thanatologie doit impérativement être mise en pratique sur les scènes de crime car elle permet de confondre des témoignages ou de valider une hypothèse criminelle.

Les signes précoces de la mort précités constituent un bon indicateur.

Le refroidissement cadavérique également. Le cadavre devient froid puisqu’il subit un phénomène d’hypothermie irréversible, dès le décès, lui faisant perdre environ 1 degré par heure. Ces facteurs cumulés et constatés peuvent donc, déjà, sur les lieux, donner une idée du délai post mortem avant même que l’enquête policière ne débute.

Les phénomènes thanatologiques subissent aussi l’influence de la nature du décès.  Selon qu’il s’agisse d’une pendaison, d’un décès par arme blanche, ou d’une noyade, les signes cadavériques seront distincts et apporteront une aide précieuse à l’enquête, notamment lorsque le corps est abîmé ou putréfié.

Sur la scène de crime, l’observation des plaies in situ permettra de conforter des hypothèses comme celle d’un tir par arme à feu de courte distance si la peau présente un orifice cutané cerné d’une zone de tatouage. La plaie balistique saura aussi nous renseigner, dès la scène de crime, sur la trajectoire de tir, la position de la victime et de son meurtrier au moment des faits.
La thanatologie s’intéresse aussi aux modes d’autolyse des corps, comme la putréfaction, la saponification ou la momification.
Si le terme générique est «  décomposition », il est des facteurs environnants qui influent sur le mode de destruction du corps.
En climat tempéré, en conditions dites normales le corps se putréfie. Exceptionnellement et seulement en cas d’environnement très chaud et sec, une momification se produit. Physiquement le corps s’apparente à un squelette mais la momification le fige à jamais dans un état où le sujet dispose encore un peu de tissus cutanés, aux nuances ocre. Dans ce cas présent, les organes ne sont pas décomposés mais juste desséchés, tels que lyophilisés.

Enfin, la saponification reste rare. Elle vise les sujets ayant séjourné à compter du décès dans une atmosphère riche en bactéries, au taux d’hygrométrie élevé donnant ainsi au corps un aspect cireux, les graisses ayant été transformées en substance savonneuse.

L’étude thanatologique permet de se rendre compte de l’importance et de l’influence de l’environnement du cadavre lors de sa décomposition (température ambiante, taux d’humidité, mode de conservation de la dépouille mais aussi l’influence des conditions du vivant de la victime : son mode de vie, habitudes médicamenteuses, pathologies médicales, organisme, corpulence,..) En effet, il est des facteurs qui interagissent sur l’autolyse du corps. Certains accélèrent le processus de décomposition, d’autres le ralentissent.

Parmi eux, la chaleur qui devient un agent accélérateur de tous les phénomènes cadavériques. Lors de la canicule de 2003, les corps dont le décès remontait à quelques heures avaient l’apparence de dépouilles datant de deux semaines.
Au lieu de faire face à des corps rigides, ne dégageant aucun relent, les victimes étaient déjà décomposées, présentant des emphysèmes abdominaux importants, un effluve méphitique, caractéristique de l’odeur dégagée par la putréfaction à son paroxysme. Les médicaments jouent aussi un rôle à titre posthume ; l’ingurgitation chronique et vitale de substances toxiques entraîne une flore intestinale bactérienne abondante, ce qui accélère le phénomène de putréfaction. A contrario, une température ambiante très basse, ralentit la décomposition. Une dépouille découverte en extérieur, par un hiver rigoureux conservera une apparence humaine pendant de nombreux jours. Le froid atténuant largement la nécrose du corps.

La thanatologie s’immisce aussi en salle d’autopsie lors de l’examen externe et interne du corps et lors des prélèvements autopsiques. Le médecin légiste effectue sa propre analyse thanatologique. L’examen interne lui permet d’étudier les organes, de mettre à jour des pathologies jusqu’ici indécelables, d’observer des plaies jusqu’ici invisibles. Le praticien  prélèvera 20 grammes de chaque viscère, et quelques centilitres de chaque liquide (urée, bile, sang..) pour analyse ultérieure comme le  taux de toxicologie ou d’alcoolémie. Même le devenir du corps, selon qu’il s’agisse d’une inhumation, d’un embaumement ou d’une crémation va nous livrer des éléments sur la décomposition d’un corps. Ainsi, la thanatologie permet d’alimenter les écrits sociologiques, anthropologiques  ou théologiques.

Véritable science, la thanatologie est en constant progrès. Demain, d’autres signes cadavériques nous aideront à être encore plus précis quant à l’heure de la mort, quant aux exactions commises par un meurtrier. Aujourd’hui nous nous basons principalement sur les signes visibles à l’œil nu mais la macroscopie ne suffit plus. Désormais, les scientifiques s’orientent vers des indices intracorporels comme la dégradation de l’hémoglobine ou des scanners de type angiographie qui pourraient révéler d’autres indices utiles à l’enquête criminelle. La mort met fin au système circulatoire, le sang encore présent et stagnant va subir une dégradation de ses globules rouges et blancs, de son hémoglobine. Cette nécrose sanguine invisible de manière macroscopique le sera grâce à une méthode d’imagerie et de prélèvements sanguins. Ce bilan hématique permettra, à rebours, d’approcher au mieux la datation de la mort.

Pour ce faire, les avancées médico-légales, les constatations forensiques , les levées de corps sur les scènes de crime ou les expériences de « la ferme aux corps » aux États-Unis n’ont de cesse de perfectionner le champ d’action de la thanatologie médico-légale.
Source inépuisable puisqu’à ce jour, il existe encore des autopsies blanches, à savoir dont l’examen du corps ne permet pas d’énoncer la cause de décès.
Nul doute que la thanatologie est loin d’avoir livré tous ses secrets.