Monthly Archives: octobre 2022

bite marks on victim - morsure

Les traces de morsure, des preuves fiables?

Si l’analyse dentaire fait désormais partie des techniques d’identification médico-légales reconnues, celle des traces de morsure semble aujourd’hui remise en question, faute d’un fondement scientifique suffisant.

Au même titre que l’ADN ou les empreintes digitales, les dents ainsi que les mâchoires constituent une sorte de carte d’identité unique et propre à chaque individu. Cette constatation a donné naissance à une branche de la médecine légale, l’odontologie médico-légale qui va trouver l’une de ses premières applications en 1897, lors de l’incendie du Bazar de la Charité. Face à des cadavres entièrement calcinés et méconnaissables, les autorités ont eu l’idée de faire appel aux dentistes des victimes.

Quand les dents laissent leurs marques

Depuis, ce processus d’identification est utilisé à chaque fois que l’on doit identifier des restes humains, individuellement ou lors de catastrophes de masse et ce, quelles que soient les circonstances du décès. La structure des dents résiste en effet à pratiquement tous les facteurs de destruction tels que l’enfouissement, la crémation, l’immersion ou encore les attaques physico-chimiques.

En l’absence de toute autre donnée, l’étude faite par l’expert odontologiste sur les dents, leurs pathologie et les signes d’usure notamment, peut donner des informations sur le sexe, l’âge, l’ethnie, les habitudes alimentaires, et par comparaison avec un dossier dentaire “ante mortem”, identifier formellement un individu.

Une autre partie de l’odontologie médico-légale consiste à interpréter les traces de morsure laissées sur une victime, vivante ou décédée mais également sur un agresseur ou sur certains objets. L’analyse que les experts effectuent désormais à l’aide de technologies numériques comme le laser-scanner 3D, peut conduire à l’identification ou a contrario à l’exclusion d’un potentiel agresseur. Toutefois, dans la mesure où il n’existe aucune automatisation des méthodes et que cette interprétation doit tenir compte de nombreux facteurs en dehors des dents, certains spécialistes considèrent que cette technique médico-légale manque de fondement scientifique et ne peut pas constituer une preuve formelle.

Une fiabilité remise en question

La polémique, qui a débuté aux Etats Unis en 2009 avec une étude réalisée par les Académies nationales des sciences, d’ingénierie et de médecine, vient de rebondir ces dernières semaines avec un projet de rapport émis par le National Institute of Standards and Technology (NIST) qui remet en question la rigueur scientifique de ces analyses.

Le NIST souligne que l’interprétation des traces laissées par les morsure est basée sur deux postulats de départ : le premier étant que les marques de dents sont uniques, le second que ces morsures sont parfaitement préservées quel que soit le support. Or, elles ne font intervenir qu’une partie de la dentition des dents (essentiellement celles du devant). De plus, la peau humaine, le plus souvent porteuse de ces marques, est par définition un tissu malléable, susceptible de les modifier en fonction de son élasticité, des mouvements de la victime, des ecchymoses qui peuvent survenir et du degré de cicatrisation in situ. Tous ces facteurs, selon certains spécialistes, affaiblissent la possibilité d’une comparaison suffisamment fiable pour incriminer un suspect.

Le rapport de cette agence fédérale américaine est encore loin d’être finalisée mais ses premiers éléments suscitent déjà de nombreuses réactions dans les milieux scientifiques comme dans certains organismes oeuvrant pour démontrer l’innocence de personnes condamnées par erreur. C’est notamment le cas de l’organisation Innocence Project établie aux Etats Unis, qui rappelle que 26 personnes ont été condamnées à tort sur la base de traces de morsure. Ce qui présage de nombreuses batailles juridiques à venir.

Sources

https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-medecine-legale-les-marques-de-dents-une-science-exacte/

https://reason.com/2022/10/19/federal-report-adds-to-the-evidence-that-bitemark-analysis-is-nonsense/

https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/ircgn/l-expertise-decodee/identification/les-dents-aussi-discriminantes-que-l-adn

https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01947165

https://innocenceproject.org/what-is-bite-mark-evidence-forensic-science/

Mallette d'aide contre les agressions sexuelles - Police scientifique - Forenseek

La Mallette d’aide à l’Accompagnement et à l’Examen des Victimes d’Agressions Sexuelles (MAEVAS) de la Gendarmerie Nationale

La lutte contre toutes les formes de violences et agressions sexuelles est une préoccupation permanente des unités de gendarmerie qui œuvrent au quotidien sur le terrain en partenariat avec l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs concernés par ce phénomène.

Si l’amélioration de la formation des militaires et de la prévention de ce type de faits sont des approches incontournables afin d’optimiser le dispositif actuel, il n’en demeure pas moins que la phase judiciaire est essentielle pour procéder à l’identification des auteurs en vue de leur présentation à la justice.

La victime d’une agression sexuelle peut se présenter auprès d’un service d’enquête ou se rendre à l’hôpital (Accueil des Urgences ou Pôle des violences sexuelles), voire se rapprocher d’une association ayant pour vocation d’aider les victimes de ce type de faits.

Si dans le premier cas cela entraîne un dépôt de plainte, en milieu hospitalier ou auprès d’une association, un signalement est à minima réalisé. Si l’agression remonte à moins de 5 jours, la victime s’inscrit alors dans un parcours : Accueil et soutien, Anamnèse, Prélèvements médico-légaux, traçabilité … Au delà des 5 jours, elle est orientée vers des informations et une prise en charge médico-sociale.

Dans le cas du dépôt de plainte, la victime suit alors un parcours, parfois ressenti comme laborieux ou contraignant, où il va lui falloir passer de rendez-vous en rendez-vous à l’occasion desquels il lui faudra à plusieurs reprises verbaliser ce qui lui est arrivé, subir des prélèvements, la saisie de pièces et objets dans le cadre d’une procédure avec des scellés transmis à un laboratoire d’analyse en vue d’une expertise médico-légale ou hospitalière. Dans le cas contraire, il convient d’assurer à minima la conservation des prélèvements en cas de dépôt de plainte ultérieur ou d’une autre saisine de la part de la justice.

A cela peut se rajouter la qualité d’un accueil inadapté ou les élongations dans le circuit entamé. Cela entraîne du stress pour les victimes et leurs entourages et certaines ne vont pas au bout de leurs démarches initiales.

Dans ce cadre, la Gendarmerie Nationale a, à partir de l’année 2018, développé le Programme « MAEVAS » pour Mallette d’aide à l’Accompagnement et à l’Examen des Victimes d’Agressions Sexuelles suivi au sein de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) à Pontoise (95).

Pour mieux accompagner les victimes d’agressions sexuelles

« MAEVAS » propose une démarche globale novatrice visant à accompagner les victimes d’atteintes sexuelles les plus graves, quel que soit leur âge ou leur sexe, tout en offrant des outils méthodologiques et criminalistiques collaboratifs permettant de procéder à toutes les investigations nécessaires, regroupés dans une mallette, au bénéfice de la résolution de cette typologie d’infractions, allant de l’accueil de la victime qui dépose plainte, en passant par les prélèvements, pour tendre vers un traitement judiciaire optimum sans négliger l’accompagnement de la victime et de son entourage durant toute l’enquête.

Le but étant de ne pas imposer à la victime des auditions ou actes complémentaires ultérieurs, qui seraient traumatisants. Le corps d’une victime n’est pas une scène de crime comme les autres !

En effet, les Unités Médico-judiciaires (aussi appelée UMJ), lieux où le médical collabore avec l’autorité judiciaire, c’est-à-dire réalise des actes médicaux à la demande des enquêteurs ou de la justice sont les structures à même de répondre efficacement à ce besoin. Mais, la moitié de la France n’est pas dotée d’UMJ, qui sont souvent, pour ne pas dire exclusivement, implantées en Zone Police Nationale où, à défaut, un service d’urgence hospitalier est présent à proximité. La situation est tout autre en Zone Gendarmerie Nationale, avec le contexte particulier de nos territoires et départements situés en Outre-Mer.

Diffusée dans un premier temps au sein d’unités de Gendarmerie à proximité desquelles on ne trouve pas d’UMJ, « MAEVAS » permettra ainsi de réduire les inégalités territoriales et elle pourra particulièrement être déployée Outre-Mer.

Sa mise à disposition dans les unités d’accueil devrait permettre, en cas d’impossibilité de traitement dans les meilleurs délais au sein d’une UMJ (Distance, accessibilité …), à un médecin isolé, spécifiquement requis, de procéder dans son cabinet, aux prélèvements nécessaires, afin de ne pas laisser une victime sans réponse, ce qui serait préjudiciable à la prise en compte de son agression. Ce projet repose donc sur la collaboration entre tous les acteurs, autour de la prise en compte de l’état et du besoin d’accompagnement de toute victime de ce type d’agression.

Ultérieurement, « MAEVAS » pourra également être déployée dans le milieu carcéral ou universitaire (Bizutage), voire sportif. Le concept pourrait également utilement être déployé au sein des Armées (Agressions sexuelles lors d’opérations extérieures, Bâtiments de la Marine Nationale, Bases …) via les médecins militaires.

Une mallette complète à destination des enquêteurs et médecins

Un document de synthèse rassemblant de multiples recommandations, depuis des conseils sur les conditions d’accueil d’une victime jusqu’aux actes de prélèvements, incluant des aspects relatifs aux auditions ou à l’accompagnement de la victime, est présent. En première version, un contenu allégé visant principalement à permettre l’identification d’un auteur est proposé, ce qui permet un déploiement initial plus rapide.

Aussi, on y trouve :

– Les consommables nécessaires, sous forme de kits pré-emballés, dédiés aux dépistages divers et aux prélèvements conservatoires (ADN, toxicologie, traces de transferts, kit hygiénique …), dans le but d’identifier l’auteur des faits,

– Des fiches guides d’aide aux prélèvements ainsi que des recommandations (sanitaires ou de recherches, localisation et conservation d’indices …) à l’attention des médecins et enquêteurs qui viendraient assurer la continuité des échanges et des actes entre tous les intervenants.

« MAEVAS » peut ainsi être déployée dans des unités éloignées d’UMJ et de services hospitaliers. Charge à ces unités de faire accompagner une victime qui se serait présentée en leurs locaux par une « MAEVAS ».

Mallette MAEVAS d'aide dans les affaires d'agressions sexuelles - Police scientifique - Forenseek
Description de la Mallette dédiée aux victimes d’agressions sexuelles 40×32,5x12cm – © PJGN – IRCGN

Par ailleurs, au regard du fait que les UMJ ou les services d’urgences hospitalières souhaitent améliorer leurs contacts avec les enquêteurs dans le but d’améliorer la coordination et les actions à conduire, il pourra être envisagé ultérieurement, dans le cadre d’une coordination avec le Ministère des Solidarités et de la Santé de mettre à leur disposition des « MAEVAS ».

La résolution de ce type d’affaire nécessite une complémentarité d’actions entre acteurs autour de la prise en compte de l’état et du besoin d’accompagnement de toute victime de ce type d’agression et qui opèrent bien souvent les uns après les autres, alors qu’une approche globale, complémentaire, harmonisée et systématique s’avérera moins traumatisante pour la victime et permettra une meilleure exploitation par les enquêteurs. C’est dans ce but qu’a été organisé le 13/03/2019 à Pontoise (95) un Gend’Lab(*) sur le thème de « Violences faites aux femmes : Les Atouts de MAEVAS (Mallette d’aide à l’Accompagnement et l’Examen des Victimes d’Agressions Sexuelles) ». Ce Gend’Lab avait pour objectif de fédérer les bonnes volontés pouvant contribuer à la “conception” et à l’accompagnement de la Mallette, en amont et en aval de son emploi (Associations d’aide aux victimes, Ministère de la Justice, Ministère de la Santé et l’Ordre des médecins …).

* : Événement ouvert au public organisé par la Gendarmerie Nationale qui a pour objet d’exposer ses travaux ou projets scientifiques et techniques en présence des partenaires du projet et des organisations intéressées par le thème.

Avec « MAEVAS », tous les acteurs ayant à en connaître complètent, en ce qui les concerne, la partie du dossier leur revenant, avec en final la constitution d’un dossier judiciaire cohérent facilement exploitable par un magistrat.

Une expérimentation lancée au 1er semestre 2022

Importance de la mallette « MAEVAS », mixant donc l’aspect criminalistique (aide aux enquêteurs) et l’aspect aide à la victime (références des associations d’aide aux victimes), qui fait l’objet d’une expérimentation terrain depuis la fin du 1er Semestre 2022 au sein des départements de la Charente Maritime (17), du Cher (18), du Val d’Oise (95) qui possèdent des environnement médicaux légaux différents.

Tout autant, pour les spécificités Outre-mer, le Commandement de la Gendarmerie Outre-Mer et le Ministère des Outre-Mer proposent de voir expérimenter la Mallette à La Réunion pour son caractère insulaire et le gros volumes de faits potentiellement visés par « MAEVAS » et en Polynésie pour son caractère de multiple insularité, une forme d’isolement et les éventuelles difficultés qui en découlent à accéder à un accueil sanitaire/médical approprié.

Pour améliorer la réponse aux victimes 

Chaque « Kit » est destiné à un acteur et une action, accompagné d’un formulaire adapté. Cela contribuera à l’automatisation et la systématisation des actes techniques d’enquête ou de criminalistique. La composition du Kit doit être normalisée et tracée (Dates de péremption) avec une nécessaire réflexion à mener sur la conservation des prélèvements.

C’est une occasion de faire la démonstration que des spécialistes peuvent conjuguer leurs efforts afin de s’investir dans ce domaine en favorisant les partages d’expériences, clarifiant situations et rôles sans gaspiller énergie et expérience au bénéfice de la prise en compte de la situation de la victime. Cette indispensable connaissance fine du phénomène, permettra d’adapter dans le temps le dispositif.

Les victimes doivent avoir confiance en la réponse de l’État car elles ont peur pour elles-mêmes ou pour leurs proches. Elles ont besoin de savoir qu’il y a un accompagnement afin de limiter le traumatisme familial. D’autant que la victime a souvent peur de ne pas être écoutée ou crue lors de la déclaration des faits.