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Quand les dents parlent : le tartre au service de la toxicologie

Initialement exploité en archéologie, le tartre dentaire révèle aujourd’hui son potentiel en médecine légale. Il conserve des traces de substances ingérées, ouvrant la voie à une analyse post-mortem des consommations médicamenteuses ou de substances psychoactives.

Le tartre dentaire : une matrice négligée, mais précieuse

Le tartre dentaire se forme par la minéralisation progressive de la plaque dentaire, un biofilm composé de salive, de micro-organismes et de résidus alimentaires. Ce processus piège divers composés présents dans la cavité buccale, y compris des xénobiotiques tels que les drogues ou leurs métabolites. Sa composition cristalline confère à cette matrice une excellente conservation des substances qu’elle renferme, tout en la rendant résistante aux dégradations extérieures, y compris dans des contextes post-mortem ou archéologiques.

Une nouvelle voie pour traquer les substances illicites

Récemment, une équipe de chercheurs a démontré la faisabilité d’une approche toxicologique fondée sur l’analyse du tartre dentaire, en utilisant des techniques de chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS). Dans une étude portant sur dix cas médico-légaux, les chercheurs ont détecté 131 substances dans le tartre, contre 117 dans le sang, révélant parfois des concentrations plus élevées dans le tartre. La méthode a permis d’identifier des drogues d’usage courant comme la cocaïne, l’héroïne ou les cannabinoïdes, y compris dans des cas où elles n’étaient plus détectables dans les matrices conventionnelles (Sørensen et al., 2021). Ces substances, parfois absentes du sang, étaient présentes en concentrations plus élevées dans le tartre.

Un témoin durable et discret

Cette approche présente plusieurs avantages notables. Elle permet la détection de consommations plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après l’ingestion. Le prélèvement de tartre est non invasif et applicable à des restes squelettiques, ce qui en fait une solution pertinente en archéologie et en anthropologie médico-légale. Elle pourrait ainsi contribuer à éclairer les habitudes de consommation, les traitements médicamenteux ou les causes de décès dans des contextes où le sang, l’urine ou les cheveux sont absents.

Une méthode prometteuse à développer

L’un des atouts majeurs de cette technique réside dans sa capacité à exploiter une matrice souvent négligée, mais fréquemment présente sur les dents. Quelques milligrammes suffisent pour réaliser une analyse fiable, à condition que les substances piégées aient conservé leur stabilité dans le temps. La méthode offre également la perspective d’élargir la gamme de substances identifiables, sous réserve de validations complémentaires.

Bien que prometteuse, cette voie nécessite encore des recherches supplémentaires pour standardiser les protocoles, évaluer la stabilité à long terme des molécules, et intégrer pleinement cette approche dans les pratiques médico-légales courantes. L’approche, encore en phase exploratoire, offre néanmoins un potentiel remarquable dans l’exploitation des matrices alternatives, et ouvre des perspectives inédites pour la toxicologie forensique.

Références :

  • Sørensen LK, Hasselstrøm JB, Larsen LS, et al. Entrapment of drugs in dental calculus: detection validation based on test results from post-mortem investigations. Forensic Sci Int 2021; 319: 110647.
  • Reymond C, Le Masle A, Colas C, et al. A rational strategy based on experimental designs to optimize parameters of a liquid chromatography-mass spectrometry analysis of complex matrices. Talanta 2019; 205: 120063.
  • Radini A, Nikita E, Buckley S, Copeland L, Hardy K. Beyond food: The multiple pathways for inclusion of materials into ancient dental calculus. Am J Phys Anthropol 2017; 162: 71–83.
  • Henry AG, Piperno DR. Using plant microfossils from dental calculus to recover human diet: a case study from Tell al-Raqā’i, Syria. J Archaeol Sci 2008; 35: 1943–1950.
Les punaises de lit pour résoudre des crimes avec la police scientifique - Forenseek

Punaises de lit : une nouvelle arme pour la police scientifique ?

Des chercheurs malaisiens ont exploré l’intérêt des punaises de lit tropicales, Cimex hemipterus, comme nouvelles sources d’ADN humain en contexte judiciaire. Absentes des investigations classiques faute de traces visibles, ces punaises pourraient néanmoins porter dans leur tube digestif l’ADN du dernier hôte humain qu’elles ont piqué. Cette étude visait à déterminer si et pendant combien de temps un profil ADN exploitable pouvait être extrait du contenu sanglant de ces insectes, notamment via des marqueurs génétiques STR (Short Tandem Repeat) et SNP (Single Nucleotide Polymorphism).

Méthodologie et résultats

Des colonies de punaises de lit élevées en laboratoire ont été nourries sur des volontaires humains, puis sacrifiées à différents intervalles (0, 5, 14, 30 et 45 jours après repas sanguin). L’ADN a été extrait et soumis à des analyses STR et SNP selon les standards forensiques. Les résultats sont clairs : un profil STR et SNP complet n’a pu être obtenu que le jour même du repas (0 jour), tandis que des profils partiels, certes plus fragmentaires, restaient obtenables jusqu’à 45 jours post‑repas. Les SNP utilisés pouvaient être interprétés avec le système HIrisPlex‑S, permettant notamment des prédictions de phénotypes (couleur des yeux, peau, cheveux) même à partir de données partielles. En outre, des punaises collectées sur le terrain ont corroboré la faisabilité des marqueurs STR, révélant parfois des profils mixtes, ce qui pourrait indiquer un repas sur plusieurs individus .

Implications légales et perspectives

Ces résultats ouvrent une piste inédite pour la criminalistique : lorsque les traces biologiques classiques ont disparu ou ont été nettoyées, des punaises de lit pourraient rester sur les lieux et constituer des micro‑réservoirs d’ADN humain fiables, permettant d’identifier des personnes venues sur les lieux ou d’établir une chronologie de passages . Cependant, plusieurs limitations doivent être prises en compte. D’abord, les analyses sont longues et nécessitent un protocole rigoureux. Le profil devient partiel après quelques jours et certaines loci ne sont plus détectables. De plus, lorsqu’un insecte a ingéré du sang de plusieurs personnes, les signaux génétiques peuvent être mélangés, rendant l’interprétation plus complexe .

Les auteurs soulignent la nécessité de valider ces résultats sur des échantillons plus variés, avec davantage d’individus donneurs et différents kits STR/SNP commerciaux. Des essais in situ sur scènes de crime simulées seraient également souhaitables pour confirmer la robustesse de la méthode, notamment en lien avec d’autres insectes ou intermédiaires biologiques considérés en entomologie médico‑légale .

Conclusion

En résumé, cette étude démontre qu’on peut exploiter l’ADN humain conservé dans l’estomac de punaises de lit tropicales jusqu’à 45 jours après le repas, grâce à l’analyse STR et SNP. Bien que seule une extraction immédiate permette un profil complet, ces insectes constituent une ressource nouvelle et prometteuse pour la police scientifique, notamment dans les contextes où les méthodes traditionnelles échouent. Toutefois, l’approche exige des protocoles rigoureux, plus d’études de validation et une modélisation réaliste des scènes d’enquête avant toute utilisation judiciaire. Des recherches complémentaires permettront de déterminer comment intégrer cette stratégie au panel des outils forensiques à disposition des enquêteurs et scientifiques.

Sources :

  • Kamal, M. M. et al. (2023)Human profiling from STR and SNP analysis of tropical bed bug (Cimex hemipterus) for forensic science, Scientific Reports, 13(1), 1173.
  • Chaitanya, L. et al. (2018)HIrisPlex-S system for eye, hair and skin colour prediction from DNA, Forensic Science International: Genetics, 35, 123–134.
  • Asia News Network (2023)Malaysian scientists discover bed bugs can play role in forensic investigations, consulter l’article.
  • ResearchGate – Publication originaleHuman profiling from STR and SNP analysis of tropical bed bug Cimex hemipterus for forensic science, consulter l’article.