Naissance de la science forensique : L’adaptabilité des sciences forensiques aux nouvelles technologies et avancées scientifiques

  • 24 février 2022
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Enfin un site français qui souhaite promouvoir, outre la fiabilité des résultats par l’acceptation de la remise en question des savoirs et vérités énoncés par les « experts » (ce qui correspond assez bien à notre esprit critique « bien français »),l’émergence d’une science nouvelle : la science « forensique », qui traite des inférences à partir de l’étude des effets pour en approcher la cause . Nous ne nous verrons donc pas assener des dogmes, des querelles technologiques ou des axiomes sur ce site, qui, bien au contraire ,contribuera à notre éveil d’une pensée « forensique » ouverte à la société, la critique et résolument moderne et universelle dans sa déclinaison technique.

Afin d’accompagner le lecteur de ce site, il est impératif de déterminer les termes employés par les « experts » travaillant à la recherche de la vérité au procès dans le système judiciaire. Car si le droit, la marine ou encore la médecine ont leur vocabulaire propre, les scientifiques ont le leur, , dont l’emploi et la précision sont nécessaires à la compréhension de leurs résultats ou démonstrations. L’absence de biais dans l’énoncé des résultats et la clarté linguistique des conclusions contribuent largement à l’acceptation de la décision judiciaire ou du « droit de punir » qui relève de la Justice dans nos sociétés.

Ainsi, il est indispensable de distinguer la « criminologie », qui se préoccupe du phénomène social qu’est le crime, de la « criminalistique » qui est l’usage de méthodes scientifiques, appartenant aux domaines des sciences exactes, permettant d’étudier/évaluer les traces trouvées sur des scènes d’infraction. Le code de procédure pénale parle quant à lui « des opérations de police technique et scientifiques » au travers son article D.7, de manière à ne pas distinguer  entre la détection des traces, leur relevé, leur conservation ou leur exploitation. Ces spécialités ne seront pas traitées directement dans cet article. Nous aborderons le domaine des « sciences forensiques » représentant la déclinaison pratique de toutes les sciences «exactes» dans la recherche de la vérité au procès pénal, sciences forensiques qui doivent éclairer le juge dans sa prise de décision. Pour illustrer ce propos, je dirais que si la position des astres avait une importance dans la résolution d’un crime, les sciences forensiques engloberaient aussi l’astrophysique, mais pas l’astrologie.

Naturellement nous aboutirons à l’émergence de la science « Forensique » au singulier, afin de démontrer que, désormais, du fait des nombreux travaux de théorisation quant à l’étude des effets pour déterminer les causes, le raisonnement et les techniques employées lors de cette approche de la scène d’infraction,  l’ensemble des sciences et techniques employées est devenue une science à part entière : « forensique », ouverte à l’histoire, l’économie et l’innovation, mais aussi l’évolution et la critique intrasèque et ne se cantonne plus à la simple application d’une autre science (physique, chimie, génétique …) au domaine judiciaire de l’exploitation de l’indice. Ainsi, comme pour les autres sciences, des revues à comité de lecture spécifiques à la science forensique ce sont fait jour.

Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale - IRCGN - Forenseek
Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale – IRCGN

A partir du moment où la justice a souhaité effectuer une recherche de la vérité, par la démonstration, et non pas en s’appuyant sur un jugement divin (ordalies), elle s’est appuyée sur des sachants dans les domaines concernés, afin de l’éclairer. Dans le cadre de la procédure inquisitoire, dés le quinzième siècle, sages-femmes, chirurgiens ou médecin seront requis par la justice pour déterminer la nature d’un crime, d’un infanticide, l’examen d’un corps pour déterminer l’heure de la mort, la nature des blessures, leur morbidité ou afin de déterminer l’arme utilisée. C’est ainsi que, au regard de la variété des crimes, tous les corps de métier ont rapidement été dit « requis », tel le notaire pour les fausses écritures, l’orfèvre pour les faux bijoux, le charpentier pour les effractions, avant que le développement des sciences par domaines à la fin du 19eme siècle offre des compétences de plus en plus pointues, chimies, toxicologie, physique et même mathématiques lors par exemple du procès Dreyfus. Désormais ce sont des experts organisés en compagnies qui œuvrent au profit des magistrats dans quasi tous les pays du monde.

Plus la justice recherchera de la précision pour sa prise de sa décision, plus elle sollicitera des experts afin d’éclairer son jugement et établir la causalité morale ou matérielle des infractions. La France aura une place particulière, au sein de la communauté forensique mondiale, du fait de la théorisation, au début du vingtième siècle, par le Docteur Edmond LOCARD[1] de cette approche spécifique de la scène de crime, par cet énoncé d’un principe fondamental: « nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage. Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité, tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ces vêtements les indices de son séjour ou de son geste ». Cet énoncé limpide implique la recherche des traces par les enquêteurs sur les scènes d’infraction afin de matérialiser l’infraction et en rechercher l’auteur.

Un second principe essentiel aux sciences forensiques est énoncé par Paul Leland KIRK (1902 – 1970) : « Tout objet de notre univers est unique. Deux objets d’origine commune peuvent être comparés et une individualisation prononcée si ces objets sont d’une qualité suffisante permettant l’observation de l’individualité ».

Ainsi, lorsque vous associez ces deux principes fondamentaux vous arrivez à la démonstration scientifique de l’individualisation de la trace et possiblement de l’auteur ou du lieu à partir des traces relevées sur une scène de crime. Les experts criminalistes n’auront de cesse de retrouver ces traces individualisantes, qui de nos jours sont parfaitement illustrées par la recherche des traces biologiques laissées par un auteur sur une scène de crime, afin d’en retrouver le propriétaire unique.

De fait nous pouvons poser le constat que la criminalistique recherche et exploite les traces et indices découverts sur les scènes d’infraction en partant du principe que l’étude des effets permettra de remonter aux causes en appliquant le premier principe stipulant que tout contact laisse une trace et le second que toute trace est individualisante, associés au fait que deux phénomènes aléatoires ne laissent jamais exactement les mêmes traces. Néanmoins, cela mérite une attention toute particulière pour celui qui aura à interpréter les résultats, tant les traces découvertes par l’enquêteur, et qui seront celles qu’il recherche[2], ne reflètent pas toutes les traces présentes, ni donc tous les effets pour toutes les causes possibles.

Utilisation de drones pour l'acquisition de vidéos sur les scènes de crime et sciences forensiques
Département Signal Image Parole (SIP) – Crédits : Forenseek

La démarche holistique de l’étude des traces stimule le domaine de l’innovation, ainsi les industriels n’auront de cesse de développer des techniques permettant de mieux les détecter (crimescope[3] dans les années 80), de mieux prélever des indices à haute valeur informative comme les traces génétiques (écouvillons dans les années 2000), de récupérer des indices numériques qui ne se voient pas (capteurs d’ondes (IOT) dans les années 2010) et, actuellement, le développement des capteurs d’odeurs qui seraient laissées par un délinquant portant masque et gants (empreinte olfactive[4]). Toutes ces nouvelles capacités sont désormais à disposition de toutes les unités de police scientifique dans le monde. Les laboratoires de sciences forensiques quant à eux utilisent des équipements analytiques de plus en plus sensibles, de plus en plus spécifiques et de plus en plus rapides, aux résultats de plus en plus complexes à interpréter, nécessitant l’intervention de professionnels de très haut niveau..

Lorsque l’on cumule toutes les données offertes par l’exploitation de tous ces indices, il devient indispensable de bénéficier de l’aide d’outils d’intelligence artificielle, ou de « data mining » qui deviennent un préalable à la compréhension, la contextualisation et donc à l’exploitation de l’ensemble des données issues d’une affaire judiciaire. La lecture d’un dossier judiciaire moyen d’environ 1000 pages dans les années 80 (analysable par une personne) s’est transformée actuellement en l’exploitation de giga octets de données sous forme de texte, d’images, d’enregistrements, de log de connexion, de sons et de résultats analytiques divers et multiples très spécialisés. De plus chaque indice possède un poids dans la démonstration (Interprétation Bayesienne), qui peut changer selon le contexte de sa découverte. Ainsi une trace d’ADN retrouvée sur un mégot (qui peut être transporté) n’aura pas la même valeur que cette même trace ADN retrouvée sur le couteau retrouvé dans le dos d’une victime. Dans le domaine forensique on mathématise cette valeur (poids) relative des indices par le théorème de Bayes qui permet de déterminer la probabilité qu’un évènement arrive à partir d’un autre évènement qui s’est réalisé, à condition que ces deux évènements soient interdépendants. Nous retrouvons donc notre recherche de l’inférence par l’étude des effets pour en comprendre les causes.

Seul l’emploi d’outils réalisant automatiquement des liens relationnels au sein d’un dossier, le calcul de réseau bayesien appréciant la valeur de chaque indice, d’annotateurs contextualisant un mot dans une phrase ou détectant des incohérences temporelles ou géographiques entre les déclarations, ou capables de retrouver une image dans des bandes vidéos permettra de comprendre le dossier, de resituer un évènement, en deux mots de « pouvoir juger ». La création d’outils dont les algorithmes sont maîtrisés et dont on a exclu les biais cognitifs des concepteurs sont actuellement en cours d’évaluation dans les laboratoires des sciences forensiques.

analyse d'un crâne d'enfant dans le cadre d'une affaire criminelle et sciences forensiques - IRCGN
Département ANthropologie Hémato-Morphologie (ANH) – Crédits : Forenseek

La captation de toutes ces traces présentes, sous toutes les formes que la technique nous autorise, leur positionnement dans un espace numérique reconstituant la scène d’infraction permet de disposer dès aujourd’hui d’un outil qui permet la visualisation de ces scènes d’infraction (le jumeau numérique). Mais bien au-delà d’une simple scène animée sous forme d’une réalité augmentée, c’est l’arrivée du « métavers », associant tous les outils numériques précédemment décrits, qui va  conduire un changement de paradigme. Ainsi un « métavers » à même de reproduire les lois naturelles (tous les phénomènes physiques de l’univers réel) de la trajectoire d’un projectile, la chute d’un corps, l’explosion d’une bombe et la projection des fragments,  jusqu’à la reconstitution d’éclaboussures de sang, nous permettra de rejouer des scenarii, d’émettre des hypothèses et de les confronter dans un aller retour théorique effet/cause qui nous proposera des déroulements de faits, voire qui nous réorientera sur les traces à trouver, ou qui nous signalera l’incohérence de la découverte de certaines traces. Le fait d’associer ces métavers à des lois probabilistes permettra aux enquêteurs et magistrats de disposer d’un score classant une hypothèse comme plus probable qu’une autre au regard des traces retrouvées. La capacité à traiter des quantités de données gigantesques, couplées à l’usage d’algorithmes d’intelligence artificielle, à même de proposer et de rejouer des hypothèses et des scenarii, de les simuler et ensuite d’en étudier les effets afin de les confronter et les rapprocher progressivement (mathématiquement) des traces relevées sur la scène d’infraction, représente l’ultime étape de la compréhension d’un évènement qui doit permettre au magistrat de s’approcher au mieux de la réalité des faits qui se sont déroulés.

La science « forensique », qui à partir de milliers de données relevées dans le présent, cherche à comprendre le passé, ouvre un champ d’analyse critique qui permet d’irriguer l’ensemble de la pensée de notre société. L’économie de marché, l’urbanisation, l’environnement ou une pandémie soulèvent les mêmes problématiques du « pourquoi » d’une situation afin de pouvoir s’adapter. La science « Forensique », dans sa recherche d’une vérité judiciaire au procès, a su théoriser et se doter d’outils afin de comprendre ce pourquoi et de proposer un « comment » à l’aide d’outils développés par les enquêteurs et les scientifiques judiciaires.

Références

  • [1] Edmond Locard (1877-1966) est l’auteur d’un Traité de police scientifique en sept volumes. Cet ouvrage propose une méthodologie de cette nouvelle science et sert même à l’heure actuelle de base à tous les laboratoires de police scientifique du monde. Ce traité comprend une étude, entre autres, de l’enquête criminelle, des preuves de l’identité, des empreintes et de l’expertise de documents écrits
  • [2] “L’oeil ne voit dans les choses que ce qu’il y regarde, et il ne regarde que ce qui est déjà dans l’esprit”
    Devise attribuée par Lacassagne à Bertillon (Niceforo, 1907)
  • [3] Crimescope : éclairage multispectral permettant de sélectionner des longueurs d’onde spécifique de certaines traces (fibre, sang, etc..) et donc de les repérer dans un environnement où elles étaient non visibles à l’oeil nu.
  • [4] https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/innovation/les-publications-scientifiques/empreinte-olfactive

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