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Intrusion traces police scientifique Forenseek

Faire parler les serrures : l’expertise en intrusion furtive ou la serrurerie forensique

L’intrusion furtive réside dans l’ouverture puis la fermeture d’un local verrouillé, en l’absence de clé. L’effraction est réalisée à l’aide d’un ou de plusieurs instrument(s) spécifique(s), et ne dégradera pas forcément la serrure. Seule une expertise spécialisée peut déterminer si l’ouverture a réellement été commise et de quelle manière. L’expert devra connaître parfaitement le fonctionnement des différentes familles de serrures, maîtriser l’ensemble des méthodes d’effraction possibles, destructives ou non, et les principes physiques et mécaniques qui entrent en jeu.

Domaine assez méconnu, l’intrusion furtive qui réside dans l’ouverture puis la fermeture en l’absence de clé d’un local verrouillé, est néanmoins définie par le législateur.

Le code pénal rappelle, en effet, en son article 311-5 alinéa 3 relatif au vol aggravé, que l’une de ces circonstances est établie : « 3° Lorsqu’il est commis dans un local … …en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade. »

analyse de traces sur la serrure en police scientifique

« L’effraction » est quant à elle définie à l’article 132-73 du code pénal 1 : « L’effraction consiste dans le forcement, la dégradation ou la destruction de tout dispositif de fermeture ou de toute espèce de clôture. Est assimilé à l’effraction l’usage de fausses clefs, de clefs indûment obtenues ou de tout instrument pouvant être frauduleusement employé pour actionner un dispositif de fermeture sans le forcer ni le dégrader. »

Ainsi, le législateur :

  •  Prend en compte la possibilité qu’un dispositif de fermeture verrouillé, puisse être ouvert sans sa clé légitime, et sans dégradation.
  • Considère ce mode opératoire comme une circonstance aggravante
  • Assimile ce mode opératoire à l’effraction « classique » (avec casse)

Que ce soit dans le cadre de l’application de la loi pénale ou au regard des assurances (pour lesquelles le vol « sans effraction » est souvent une clause classique d’exonération de garantie), il est important de pouvoir se prononcer sur la réalité de cette effraction.

Mais comment la déterminer ?

L’effraction réalisée à l’aide d’un (ou plusieurs) instrument(s) spécifique(s) ne dégradera pas forcément la serrure. Cette ouverture, par essence non destructive, reste néanmoins frauduleuse et donc punissable au regard de la législation. Mais comment savoir si l’ouverture a réellement été commise et de quelle manière ? Seule une expertise spécialisée peut apporter les réponses à ces questions.

Par ailleurs, qu’en est-il de la réalité de ces pratiques ?

Marotte des films d’action, l’ouverture sans force ni dégradation est-elle pour autant une réalité ? Outre la simple carte de crédit glissée entre le chambranle et la porte (le type de déverrouillage « classique » que toute personne ayant claqué un jour sa porte en oubliant ses clés à l’intérieur a en tête) ce type d’ouverture est-il réellement possible ? Peut-on procéder au déverrouillage d’une porte à cinq points de verrouillage, voire blindée, sans laisser de traces évidentes ?

Nous allons, dans cet article, nous attacher à présenter l’étendue « invisible » de ces effractions dites « douces » et du travail d’expertise qu’il est possible de réaliser pour « faire parler » les serrures.

L’effraction “douce” sans trace apparente, est-ce possible ? Et si oui, comment fonctionne-t-elle ?

Il est communément admis que, pour l’ouverture d’une « vraie » serrure (excepté donc les serrures très basiques) sans utilisation de la clé légitime, il faut soit casser celle-ci, soit casser l’élément sur lequel la serrure est fixée ou l’un des éléments de solidarisation de l’ensemble (porte, chambranle et pêne). Pourtant, il est possible de s’attaquer au mécanisme de la serrure et ainsi agir sur lui « comme si une clé légitime était présente », sans pour autant l’avoir introduite.

Lors d’un « crochetage » par exemple (une des techniques « douces » parmi plus d’une quinzaine d’autres), la serrure « tourne » sans que la clé ne soit à l’intérieur. Il devient alors possible de déverrouiller la porte. On peut même la refermer facilement, sans avoir à crocheter la serrure à nouveau. Après l’ouverture et la fermeture de la serrure, aucune trace n’est visible de l’extérieur et la serrure continue de fonctionner comme avant.

Quelles sont les serrures et, plus généralement, les systèmes de sécurité, concernés par ces « risques » ?

Plus un système sera bien pensé, plus il sera difficile de trouver le moyen de le contourner. Mais tout système comporte des failles. En ayant les connaissances et en y passant le temps nécessaire, il sera toujours possible de l’outrepasser. En termes de sécurisation (pour les lecteurs qui commenceraient à s’inquiéter pour la protection effective de leur porte d’entrée) c’est la multiplication des systèmes et leur installation judicieuse qui apporteront le niveau de sécurité satisfaisant. Néanmoins, chaque système, pris individuellement, reste contournable. Tous les types de serrures sont donc concernés par ce risque et peuvent faire l’objet d’une expertise en cas de doute.

Ces techniques sont-elles réellement utilisées, par qui et dans quels cas ?

Dans la majorité des cas : cambriolages d’opportunité, crimes générant de nombreuses traces, etc… le ou les auteur(s) n’auront pas obligatoirement les compétences pour agir de manière furtive sur la partie « intrusive » de leur méfait. L’usage d’un pied-de-biche permet une plus grande rapidité d’exécution et, si les traces laissées sur place ne présentent pas à leurs yeux une grande contrariété, ils ne font pas l’effort de dissimuler leur passage.

Pour autant, les méthodes d’intrusion furtives peuvent être employées dans les cas spécifiques où les auteurs essaient de dissimuler au maximum leur présence (homicides, vols d’informations sensibles, vols maquillés, etc…). L’attrait pour ces techniques est bien réel. De nombreuses vidéos en ligne présentent, sous la forme de tutoriels, les différentes techniques de contournement de serrures. De même, de multiples boutiques spécialisées proposent les outils nécessaires à la mise en œuvre de ces techniques.

Sur ce point, il est regrettable de constater que certains fabricants de matériels ne réservent pas toujours leurs produits aux seules forces de l’ordre ou serruriers. D’autant plus que les serruriers n’emploient pratiquement pas ces techniques, trop coûteuses en temps d’entraînement, en matériel, et sans grand intérêt d’un point de vue commercial. Ils préfèrent, bien souvent, recourir à une simple perceuse. Si ces vidéos sont, dans la très grande majorité des cas, « réalisées par » et « destinées à » des crocheteurs « sportifs », il n’empêche qu’elles présentent néanmoins des techniques qui deviennent de plus en plus accessibles, voire à la portée de tous et donc également à la portée de personnes à la moralité douteuse.

C’est une réalité de terrain : de plus en plus de malfaiteurs se spécialisent dans l’une ou l’autre des techniques d’ouverture douce, et ce en fonction de leur affinité pour tel ou tel délit. Dans le cadre d’une opération de police judiciaire telle qu’une perquisition, les enquêteurs peuvent être amenés à découvrir des objets susceptibles de correspondre à du matériel d’intrusion. Dans ces circonstances, nous sommes régulièrement sollicités afin de savoir s’il s’agit bien de matériel d’intrusion et s’il peut réellement fonctionner. L’identification précise de ces outils peut ainsi orienter les enquêteurs vers une manière d’opérer particulière ou vers une marque de véhicule ciblée (lorsqu’il s’agit d’outils dédiés à l’ouverture des véhicules) et ainsi concourir à la manifestation de la vérité.

À quoi ressemblent les outils utilisés ?

Tout dépend du type de serrure visé. Certains outils sont « généralistes » et couvrent un large spectre de serrures. D’autres sont, au contraire, extrêmement spécialisés. Dédiés uniquement à un type et modèle particulier de serrure, ils sont d’une efficacité redoutable pour qui sait s’en servir.

Lorsqu’on réalise une expertise sur les traces d’outils laissées et afin d’apporter une réelle plus-value à l’enquête, il est aussi important de faire le distinguo entre les outils manufacturés, qu’on peut trouver plus ou moins facilement dans le commerce spécialisé, et les outils « faits maison » que certains confectionnent eux-mêmes (attestant d’un certain savoir-faire, tout en désignant parfois leur auteur). Il faut également citer l’existence de « faux outils » susceptibles d’avoir laissé des traces ou d’être découverts sur les lieux, sans pour autant être en mesure d’ouvrir la serrure en question.

En effet, il arrive que certaines personnes veuillent faire croire, pour diverses raisons, en la réalité d’une intrusion (qui n’a pas réellement eu lieu ou alors pas comme on voudrait le laisser penser). Ces individus utilisent pour cela toutes sortes d’outils (incrustant possiblement peu de traces pour accréditer le scénario d’un « crochetage » de la serrure). Là encore, l’expertise tentera de déterminer si les traces sont consécutives à l’usage d’un outil ayant réellement la possibilité de déverrouiller la serrure ou non.

Quelles traces peuvent être visibles lors d’une intrusion ?

Les techniques d’ouverture « non destructives » laissent des micro-traces. Ces traces, n’ont rien à voir avec celles que laisse de manière « normale » et « habituelle » une clé légitime dans sa serrure, et ce pour une multitude de raisons. Parmi elles, citons :

  • La forme et l’épaisseur des outils, qui diffèrent complètement de celles de la clé et de ce fait marquent différemment la surface des éléments rencontrés.
  • Lors de l’insertion d’une clé, le mouvement rotatif de celle-ci intervient après son insertion rectiligne, sans tension, de sorte que ce passage n’appuie pas outre mesure sur les différentes « sûretés » de la serrure ; ce qui n’est pas le cas lors d’un crochetage, où des appuis prononcés, ou « microforçages », doivent être réalisés pour mettre en place les « sûretés » de la serrure (les éléments qui la verrouillent).
  • Certains emplacements d’une serrure ne sont jamais au contact de la clé et ne devraient jamais présenter la moindre trace, hormis celles de l’usinage d’origine. Lors d’un crochetage, les outils « raclent » ces emplacements, supposés vierges de tout contact, et laissent ainsi des traces significatives.

De ce fait, si l’on sait où chercher et quoi chercher, il est non seulement possible de voir que des outils ont été utilisés, mais également de déterminer avec précision le type d’attaques (même « non destructives ») qu’a pu subir une serrure. Par exemple, pour l’utilisation d’une technique appelée « bumping », l’outil « percute », parfois à plusieurs reprises, les goupilles de la serrure avec pour résultat les traces présentes sur la photo n° 7 ci-dessous. Ces traces ainsi générées sont caractéristiques de ce type d’attaques. Cette mise en évidence peut être d’une aide précieuse pour l’enquête et permet en outre d’identifier le profil « intrusif » de l’auteur des faits.

Sur quelles connaissances s’appuie l’expert pour identifier l’effraction non destructive ?

Pour expertiser des serrures et mettre en évidence la présence ou l’absence de traces d’ouverture, il est impératif que l’expert connaisse parfaitement le fonctionnement des différentes familles de serrures, qu’il maîtrise l’ensemble des méthodes d’effraction possibles (destructives et non destructives) ainsi que les principes physiques et mécaniques qui entrent en jeu. Il doit avoir une connaissance approfondie de l’ensemble des outils d’intrusion existants et de ceux pouvant être improvisés, avoir étudié en profondeur les traces et microtraces que laissent ces ouvertures, et savoir démonter proprement une serrure en évitant absolument la « contamination » de celle-ci par des traces supplémentaires. Enfin, il doit connaître les méthodes de minimisation des traces pouvant être employées par les auteurs, afin de les identifier et déterminer si elles ont été utilisées.

Chercher des traces sans savoir quoi chercher ne rime évidemment pas à grand-chose. Dans certains cas, la serrure peut présenter des traces suspectes ne relevant pourtant pas d’une intrusion. Ces « faux positifs » 2 peuvent être nombreux pour celui qui ne connaît pas réellement la discipline.

Pour ces raisons, il est impératif, avant de chercher les traces, de savoir quelle technique a pu être employée et de mettre en cohérence la faisabilité d’une attaque avec la réalité environnementale de la serrure ou de tout élément de sécurisation. Pour finir, l’expert doit pouvoir se mettre en situation, c’est-à-dire être lui-même compétent pour pratiquer ces méthodes d’ouverture, voire d’en inventer de nouvelles lorsque cela est possible et que ce type de modus operandi « innovant » est à suspecter. Seul un expert capable de se mettre à la place d’un intrus pourra réellement appréhender ce qui a été fait sur une serrure. Les microtraces « parlent », mais encore faut-il que l’expert « traduise » couramment le « langage » des serrures.

Quelles sont les étapes d’une expertise en intrusion ?

Une bonne expertise peut difficilement avoir lieu sans un bon prélèvement. C’est la raison pour laquelle il est idéal que l’expert puisse prélever lui-même la ou les serrure(s) sur le terrain. Il saura s’entourer des précautions nécessaires et prendre en compte pleinement l’environnement. Lorsque ce n’est pas possible, il est préférable qu’un personnel de la police technique et scientifique (technicien en identification criminelle ou équivalent), ayant au préalable participé à une sensibilisation sur le sujet, réalise le prélèvement.

Ainsi, lors de ce prélèvement, il pourra veiller à ne rien introduire dans la serrure ou à le faire (si le démontage du canon le nécessite) en suivant les directives permettant la sauvegarde maximale des hypothétiques traces (notamment en ne touchant pas le côté extérieur). Il saura quelles prises de vue contextuelles effectuer pour que l’expert arrive à situer la serrure dans son environnement d’origine. De même, il posera les bonnes questions aux utilisateurs de la serrure. L’expertise se poursuit en laboratoire. Les observations préliminaires sont effectuées et la serrure est préparée en vue de l’expertise. Les différents éléments sont démontés, permettant la réalisation d’observations non destructives. Le niveau réel de sécurité de la serrure est apprécié et les traces suspectes sont recherchées.

Il est impératif, avant de chercher les traces, de savoir quelle technique a pu être employée et de mettre en cohérence la faisabilité d’une attaque avec la réalité environnementale de la serrure

David ELKOUBI

Lorsqu’il est nécessaire d’ouvrir par une découpe l’élément expertisé et qu’il s’agit de la décision la plus judicieuse afin de mener à bien l’expertise (par exemple pour observer l’intérieur d’un cylindre à un emplacement inaccessible sans découpe), cette découpe est effectuée de telle sorte qu’elle ne puisse en aucun cas altérer les emplacements dignes d’intérêt à observer.

Des comparaisons sont effectuées entre l’élément expertisé et un élément neutre (souvent, le côté extérieur de la serrure comparé au côté intérieur). D’autres comparaisons sont réalisées entre les traces trouvées et différentes traces d’outils pouvant correspondre. Enfin, une vérification de faisabilité est entreprise lorsqu’elle est matériellement possible. À l’issue de tous ces tests, l’ensemble des éléments sont de nouveau protégés et replacés sous scellés, afin de permettre d’éventuelles nouvelles observations ultérieures si nécessaire ou si ces observations demandent à être exposées.

Comment présenter un rapport dans un domaine méconnu ?

Le rôle de l’expert, au-delà d’aider le juge à statuer en lui donnant son avis technique, est de mettre à la portée des magistrats, avocats ou parties, une meilleure compréhension de la partie technique sur laquelle on le sollicite, mais également l’explication du cheminement qui l’amène à formuler un tel avis.

Or, l’un des aspects complexes dans cette discipline réside dans la vulgarisation des techniques sensibles, parfois même secrètes. Ces techniques, potentiellement utilisées par un intrus, s’avèrent difficilement comprises, de prime abord, par une personne non avisée. Pour ces raisons, le rapport présente en détail les observations, ce qu’elles impliquent, en développant le fonctionnement de la serrure dans telle ou telle condition. Un lexique relatif à tous les termes techniques employés est annexé au rapport, afin de vulgariser de manière simple et compréhensible une terminologie bien souvent complexe. La pédagogie est ici essentielle pour que les lecteurs du rapport, même en l’absence de connaissances dans le domaine, puissent prendre la mesure des observations rapportées et de leurs implications.

Les faux positifs d’une intrusion

Une serrure peut rester plusieurs décennies à la même place, sur une porte. Pendant cette période, de nombreuses péripéties peuvent lui arriver : insertion d’une clé qui ne lui était pas destinée, tentative de forçage non aboutie, insertion volontaire et involontaire (par des enfants par exemple) d’objets divers, etc. Dans ces situations, il peut arriver que des « traces » apparaissent dans la serrure. Pour autant elles ne signifient en rien une intrusion. Le seul moyen pour savoir si une trace est effectivement consécutive à une intrusion ou pas est donc de connaître parfaitement les mécanismes des techniques de crochetage des serrures.

Ci-contre un exemple de goupille avec des « traces » inhabituelles, non consécutives d’un crochetage (mais plutôt d’une utilisation très répétée d’une copie de la clé originale, réalisée sur une ébauche ayant un profil légèrement différent, et une butée décalée). Une observation « naïve » aurait pu aboutir à un « faux positif » (diagnostic de positivité de l’intrusion, à tort, car les traces proviennent de tout autre chose).

NOTES :

1 : Qui traite de la définition de certaines circonstances entraînant l’aggravation, la diminution ou l’exemption des peines.
2 : Voir sous-partie sur « les faux positifs d’une intrusion ».

Article publiée dans la revue EXPERTS n°149 – Avril 2020