Procureur de le République à Charleville-Mézières de 2003 à 2008, j’ai été en charge de l’affaire Fourniret / Monique Olivier pendant 4 années et obtenu à leur procès d’assises leur condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.C’est une affaire exceptionnelle par le nombre de petites ou de jeunes filles victimes, par la durée du périple criminel de ce couple tueur en série, par l’abomination et l’inhumanité des crimes perpétrés et par la perversité inouïe de ces deux monstres.
Il m’a fallu 15 années après le procès de 2008 pour écrire mon livre « Ma rencontre avec le Mal » qui n’est pas une narration journalistique de tous ces crimes odieux mais l’écriture de mon vécu, ma part de vérité. Une tentative de contribution à la connaissance du traitement particulier que nécessite les grandes affaires criminelles et les crimes sériels, ainsi que les défis pénaux, criminologiques et sociaux qu’ils revêtent. Et surtout mon livre a été voulu pour tenter de faire comprendre si tant soit peu les tourments terribles et définitifs endurés par toutes les familles de ces malheureuses victimes pour qu’elles puissent être mieux écoutées par la justice, être l’objet d’une meilleure écoute et d’une empathie constante tout au long de leur éprouvant périple judiciaire.
La découverte glaçante d’un tueur en série
Dès ma nomination en qualité de procureur de la République à Charleville-Mézières en 2003, je prends immédiatement connaissance de deux affaires criminelles très graves, l’enlèvement et le meurtre de deux jeunes victimes.Le 16 mai 2000, Céline, âgée de 18 ans, disparaît à sa sortie d’un lycée de Charleville-Mézières. Toute fugue est rapidement exclue et les recherches entreprises immédiatement demeurent vaines jusqu’au 22 juillet 2000, date à laquelle ses ossements sont découverts dans un bois proche, à la frontière belge. Le 5 mai 2001, Mananya, 13 ans et demi, disparaît à son tour à Sedan, commune ardennaise, alors qu’elle sortait de la médiathèque et regagnait son domicile. Le 1er mars 2002, son corps est retrouvé à une trentaine de kilomètres, à proximité d’un village belge. Les analogies entre ces deux crimes sont trop nombreuses pour imaginer de simples coïncidences, la proximité géographique des faits et des lieux de la découverte des corps, le mode opératoire des enlèvements en zone urbaine en toute discrétion, les détails de leur abandon, le profil physique et psychologique des victimes… Avec les juges d’instruction et les enquêteurs de la police judiciaire de Reims, l’hypothèse effrayante d’un tueur en série dans les Ardennes devient de plus en plus crédible. En dépit d’investigations multiples menées conjointement par les services de police judiciaire de Reims et de Dinan, en Belgique, les recherches restent infructueuses. Jusqu’au 26 juin 2003 où se produit un événement majeur qui va relancer ces deux enquêtes. Ce jour-là, une petite fille, Marie-Ascension, 13 ans, est enlevée en Belgique et, grâce à son courage et à son sang-froid, réussit à se défaire de ses liens et à s’enfuir de la camionnette dans laquelle son ravisseur l’avait séquestrée. Une automobiliste l’a recueillie et, fort intelligemment, parvient à relever l’immatriculation de ce véhicule, que les gendarmes attribuent à Monique Olivier, l’épouse de Michel Fourniret. Celui-ci est rapidement interpellé. Il reconnaît les faits et précise l’avoir ligotée, caressé ses seins, envisagé une relation sexuelle avec la fillette et lui avoir dit « qu’il était bien pire que Dutroux ».
Les perquisitions effectuées à son domicile permettent de retrouver des vêtements d’enfants, des cordes, du ruban adhésif, une paire de menottes, un masque inhalateur pour enfant, des ampoules d’éther et des armes diverses, notamment des revolvers de police dérobés lors d’un cambriolage.
Fourniret s’engage à tuer les deux précédents conjoints de Monique Olivier et, en échange, celle-ci lui offrira des jeunes filles vierges qu’ils appellent « des MSP (membranes sur pattes) » ou « des jeunes fentes”
Michel Fourniret et Monique Olivier : l’alliance mortelle d’un couple tueur en série
Monique Olivier déclare tout ignorer d’un quelconque penchant de son mari pour les enfants, ignorer tout de ses condamnations antérieures et affirmer, à l’instar de Fourniret, que cet enlèvement reste un cas isolé. Il faudra une année entière et le travail considérable des enquêteurs belges qui l’ont interrogée à 120 reprises, ainsi que la sonorisation d’un parloir, pour obtenir enfin ses premiers aveux, très partiels, quant au nombre de crimes commis et sa propre participation. Quelques jours après, confondu par les précisions apportées par son épouse, Fourniret avoue à son tour. Il explique avoir connu Monique Olivier alors qu’il était détenu pour une précédente affaire d’agressions sexuelles. Elle a répondu à son souhait de correspondre et, pendant huit mois, ils n’ont cessé de s’écrire, plus de 200 lettres au total. L’analyse de ces volumineux courriers est édifiante car, avant même toute rencontre physique, ils souscrivent un véritable pacte criminel. Fourniret s’engage à tuer les deux précédents conjoints de Monique Olivier et, en échange, celle-ci lui offrira des jeunes filles vierges qu’ils appellent « des MSP (membranes sur pattes) » ou « des jeunes fentes ». Deux mois après la libération de Fourniret, ce pacte jusqu’alors épistolaire, se concrétise pour le plus grand malheur d’Isabelle, 17 ans.
Le 11 décembre 1987, elle disparaît sur le trajet entre son lycée et son domicile, à Auxerre. Les aveux du couple Fourniret permettent d’établir l’organisation minutieuse de ce rapt, avec des repérages, l’enlèvement de la jeune fille par Monique Olivier, le stratagème de Fourniret qui feint d’être en panne d’essence, monte dans le véhicule, lui passe une cordelette passée autour du cou et Monique Olivier lui administre des cachets de rohypnol qui la rendent semi inconsciente. Amenée dans leur maison, Fourniret tente de la violer mais n’y parvient pas, faute d’une érection suffisante. Monique Olivier, d’initiative, lui pratique une fellation. Fourniret étrangle ensuite la jeune fille et tous deux se débarrassent du corps en le jetant dans un puits désaffecté. Il faudra plus de deux ans et une trentaine d’anciens puits explorés pour retrouver le corps de leur victime. Une scène déchirante pour le papa d’Isabelle. Les meurtres s’enchaînent les uns après les autres et le périple sanglant du couple va se poursuivre pendant 16 années.
En janvier 1988, Fourniret, accompagné de Monique Olivier, tire à bout portant avec un fusil de chasse sur un représentant de commerce pour lui dérober son portefeuille. Un fait criminel conforme à l’un de leurs engagements épistolaires. La victime survit miraculeusement.
Quelques semaines plus tard, ils commettent un meurtre en assassinant la compagne d’un ancien codétenu de Fourniret afin de dérober une partie du magot du gang des postiches, une équipe de braqueurs qui avait écumé de nombreux établissements bancaires de la région parisienne. Cela leur permettra d’acheter pour la somme de 1,2 millions de francs la propriété du Sautou, un château du 19ème siècle avec un parc d’une quinzaine d’hectares. Un épisode criminel rocambolesque. En août de la même année, ils enlèvent et assassinent dans la Marne Fabienne, une étudiante de 20 ans. Fourniret tente de la tuer en lui injectant de l’air dans les veines avec une seringue, puis lui tire dessus à bout portant avec un fusil à canons sciés. Ils abandonnent le corps de la malheureuse victime dans le camp militaire de Mourmelon, reproduisant les crimes commis par un autre tueur en série, l’adjudant Chanal.
En janvier 1989, le couple enlève à Charleville-Mézières Jeanne-Marie, une étudiante de 21 ans. Après avoir tenté de la violer, Fourniret l’étrangle tandis que Monique Olivier lui obture les voies nasales et buccales à l’aide d’un adhésif. Ils enfouissent le corps dans leur propriété du Sautou. Son corps ne sera retrouvé que 15 années plus tard, après des recherches compliquées par les manipulations et les provocations de Fourniret. En décembre 1989, à proximité de Namur en Belgique, Monique Olivier prend le prétexte de son nourrisson malade, dans un couffin à l’arrière de son véhicule, pour enlever avec Fourniret la petite Elizabeth, 12 ans. Après l’avoir emmené dans leur maison ardennaise, l’avoir enivrée et ligotée, Fourniret tente de la violer, en vain et en dépit à nouveau d’une fellation pratiquée par Monique Olivier. Elizabeth passe la nuit enchaînée puis est conduite le lendemain par Fourniret au château du Sautou où il l’étouffe dans un sachet plastique transparent. Lors d’une « conversation » avec lui, il tentera de me faire réagir en me livrant de manière odieuse tous les détails des transformations physiques d’un visage qui s’asphyxie.
Un mode opératoire similaire à celui d’un autre tueur en série, Francis Heaulme.
En novembre 1990, ils enlèvent Natacha, 13 ans, sur le parking d’un supermarché dans les environs de Nantes. Fourniret la roue de coups, la viole puis la poignarde longuement avec un poinçon. Il abandonne son corps sur une plage en Vendée, à 80 kilomètres de distance, mode opératoire similaire à celui d’un autre tueur en série, Francis Heaulme. En 1995, Fourniret agresse très violemment une toiletteuse pour chiens à Namur. Grâce à sa présence d’esprit, la victime, Joëlle, garde la vie sauve mais endure encore aujourd’hui des séquelles psychologiques définitives. Un véritable meurtre psychique. En 2000 et 2001, il enlève, viole et tue dans les Ardennes, Céline et Mananya, après de longues heures de torture morale. Un calvaire interminable pour ces deux jeunes victimes.
Entre 1990 et 2000, bien loin « d’une période blanche », les activités criminelles du couple se poursuivent à un rythme effréné. Des faits commis, comme le meurtre de la petite Estelle à Guermantes en région parisienne, résolu 16 ans après, ainsi que de nombreuses tentatives ou des projets avortés d’enlèvements, de viols et de meurtres.
Michel Fourniret : le tueur en série le plus abouti
Une plongée dans la psyché torturée d’un couple diabolique
Comment expliquer des déviances aussi folles et meurtrières ? Rien dans la vie passée de Fourniret ou de Monique Olivier n’apporte l’esquisse d’un début de commencement de réponse. Seules leurs nombreuses expertises psychologiques et psychiatriques permettent de lever un voile.
Fourniret est décrit comme « le tueur en série le plus abouti ». D’une froideur inouïe, très organisé et obsessionnel, sadique, extrêmement violent et pervers, sa pathologie criminelle a été considérée comme absolue. Il a éprouvé une réelle jouissance de la terreur et de l’humiliation de ses victimes, en prolongeant leur agonie. Monique Olivier dispose quant à elle d’un quotient intellectuel très supérieur à la moyenne. Perverse et manipulatrice, elle a su se rendre indispensable à Fourniret pour assouvir ses propres fantasmes les plus archaïques. C’est elle qui lui a délivré son permis de tuer ; « sans elle, il n’y a pas de meurtre ». Indifférente à la souffrance de ses jeunes victimes, elle a éprouvé une certaine fierté à être la complice de Fourniret et a joué un rôle particulièrement actif dans la commission de leurs crimes. L’emprise de l’un sur l’autre a été totale et réciproque par « l’aliénation de chacun dans le fantasme de l’autre ». Les experts ont parlé « d’une véritable cooptation des inconscients, un engrenage si intime qu’il est devenu constitutif d’une nouvelle entité tierce : le couple agissant. Tout se passe comme si un nouveau sujet était créé. Deux psychismes qui se sont engrenés pour conduire à l’action criminelle ».
Condamnations à perpétuité pour un verdict sans précédent
Ce couple monstrueux a été condamné en mai 2008 après huit longues semaines d’un procès particulièrement éprouvant. A l’attitude insupportable du couple a répondu l’exceptionnelle dignité de toutes les familles, au-delà de leur douleur intense et définitive, forçant ainsi l’admiration de tous.
Fourniret a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, c’est-à-dire une perpétuité réelle, sans aucune possibilité d’aménagement ou de réduction de peine, permissions de sortir ou libération anticipée, condamnation rarissime en France. Monique Olivier a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 28 ans. Elle est la seule femme à avoir été condamnée à une telle peine.
Jamais la France n’avait connu un couple tueur en série aussi monstrueux, sur une telle durée, à l’encontre d’un nombre aussi élevé de jeunes victimes, vraisemblablement entre trente et trente-cinq dont beaucoup non encore identifiées, martyrisées dans des conditions monstrueuses. Puisse cela ne plus jamais se reproduire.
” Personne ne sortira indemne de l’affaire Fourniret, pas FRANCIS NACHBAR même vous, Monsieur le Procureur. ”
Cette phrase, Fourniret l’a assénée quelques minutes après sa première rencontre avec le procureur Nachbar. C’était le 3 juillet 2004, lors des fouilles dans le parc du château du Sautou, dans les Ardennes, où furent découvert les corps de deux de ses victimes. Le monstre ne s’est pas trompé. Dix-huit ans après, ces mots résonnent encore comme une mauvaise litanie. Effectivement, Francis Nachbar n’est pas sorti totalement indemne de cette affaire judiciaire exceptionnelle, de ces centaines d’heures passées avec Michel Fourniret et Monique Olivier, couple diabolique, symbole ultime du mal. Quinze ans après le procès d’Assises de 2008, Francis Nachbar décide de livrer sa part de vérité sur l’une des plus grandes affaires de tueurs en série qu’ait connue la France. Il lui a fallu toutes ces années pour se sentir prêt, libéré de ses fonctions judiciaires et de toute entrave.
Un livre salutaire qui éclaire d’un jour nouveau ce couple aux mains tâchées de sang. Au total, Michel Fourniret a avoué 11 meurtres. Il est par ailleurs suspecté dans 21 autres affaires de disparition de fillettes et de jeunes femmes.A commander ici.
Francis NACHBAR entame sa carrière en tant que juge d’instruction au tribunal de grande instance de Metz. Il occupe ensuite les fonctions de premier substitut à Laon avant d’être placé en détachement successivement comme conseiller juridique du directeur du Trésor, chef de cabinet de l’adjoint au maire de Paris chargé de la prévention et de la sécurité, puis conseiller technique du ministre de la Justice du Togo et chef d’un projet d’aide et de développement de l’État de droit.
Par la suite, il exerce les fonctions de substitut général à la cour d’appel de Chambéry, de procureur de la République à Charleville-Mézières, de procureur de la République au Havre, puis d’avocat général à Rennes. Enfin, il occupe le poste de procureur général du département de la Guyane.
Tout au long de son parcours, Francis NACHBAR a su mettre son expertise et son engagement au service de la justice, tant en France qu’à l’international, en s’investissant dans des missions de conseil et de développement de l’État de droit. Son expérience variée illustre un parcours riche, placé sous le signe de la protection de l’intérêt général et du renforcement des institutions judiciaires.