Les Cold Case de la Brigade Criminelle de Paris

  • 7 février 2022
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Interview – Alors que la Justice française s’apprête à mettre en place un pôle spécialisé dans les Cold Case à Nanterre le 1er mars 2022, le patron de la Brigade Criminelle de la Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris, le Commissaire Général Michel FAURY revient sur la montée en puissance de son unité spécialisée dans ces affaires non résolues. 

Pouvez-vous nous donner la définition juridique d’un “Cold Case” ?

S’il n’y a pas de définition au sens juridique du terme, on peut considérer qu’il s’agit d’une affaire dont le caractère criminel est avéré ou fortement pressenti, qui n’est judiciairement ni policièrement résolue, qui n’est pas prescrite et dont le ou les auteurs restent à identifier.

Combien de dossiers non résolus “actifs” traitez-vous au sein de la Brigade Criminelle de Paris ?

Depuis l’aboutissement récent d’une enquête ayant conduit à l’identification de l’auteur d’une série de faits commis à Paris entre 1986 et 1994, le nombre de dossiers non résolus, à la Brigade Criminelle, a un peu diminué. C’est environ 65 dossiers à ce jour dont une quinzaine qui font l’objet d’investigations régulières, en fonction des critères retenus.

Au sein de la Brigade Criminelle, avez-vous des équipes dédiées à la résolution des “Cold Case” ?

Chaque groupe de droit commun de la Brigade Criminelle conserve des dossiers anciens qui font l’objet d’investigations dès lors qu’une nouvelle piste apparaît. Pour autant, une unité spécialisée traitant de ce type de dossier a vu le jour en 2015. Elle a été fortement renforcée avant l’été 2021. Il s’agit de l’UAC3 (Unité d’Analyse Criminelle et Comportementale des Affaires Complexes). Composée de 6 personnels, elle est dirigée par un Officier très expérimenté et dispose également d’une psycho-criminologue. Elle se voit confier les dossiers criminels non élucidés les plus complexes.  

Cela dit, ce groupe n’a pas vocation à travailler exclusivement sur les « Cold Case » ; c’est une  part seulement de son activité. En effet, s’il concentre son action sur les dossiers anciens, il n’attend pas un éventuel classement sans suite, par l’autorité judiciaire, pour en être saisi. Bien au contraire, il assure ou encadre les investigations sur un temps long, afin de s’assurer que toutes les pistes ont été exploitées et que toute nouvelle information est traitée. Il joue ainsi fréquemment le rôle de conseil vis à vis de ses collègue mais également de sa hiérarchie dans le domaine qui lui est propre.

Ce qui peut présider à la prise en charge d’un dossier par cette unité est la volonté d’en garder la mémoire en dépit des mutations et ou du « turn-over » des effectifs ayant enquêté dessus. Enfin, les investigations effectuées dans la durée et la conservation du dossier au service, dans l’attente de l’exploitation d’un éventuel élément nouveau, permettent également de retarder au maximum la prescription…       

Les fonctionnaires en charge de ces affaires reçoivent-ils une formation particulière ?

Non, il n’y a pas de formation spécifique quand on intègre l’UAC3. La Brigade Criminelle recrute des femmes et des hommes disposant déjà de solides connaissances professionnelles, intéressés par la matière criminelle et volontaires pour se former dans un domaine toujours plus technique. L’UAC3 intègre des profils qui correspondent aux besoins d’une structure spécifique, tous très expérimentés et ayant fait leur preuve, qui maîtrisent parfaitement les arcanes de l’enquête criminelle. Le tutorat des anciens du groupe permet alors de formater les plus jeunes, au mieux de nos besoins.    

Par ailleurs une certaine maturité professionnelle est nécessaire pour intégrer cette unité car il faut avoir la « force » mentale de s’intéresser à des dossiers dont on n’a jamais vu la scène de crime et sur lesquels d’autres enquêteurs ont travaillé avant. En outre, une formation à l’analyse criminelle est proposée actuellement par un ancien officier de l’unité. Un enquêteur de l’UAC 3 suit cette formation poussée.

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La Brigade Criminelle de Paris en 1921 – Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quelle méthodologie utilisez-vous pour avancer efficacement sur ce type d’affaires ?

La variété des dossiers fait qu’il n’existe pas de méthode prédéfinie lors de la réouverture d’une enquête. La force de l’UAC3 est d’offrir une analyse pluri-disciplinaire intégrant à la fois l’analyse comportementale, l’appui de l’outil informatique pour une analyse criminelle et la relecture de l’ensemble de la procédure par un œil neuf. Cet examen, sous des angles variés, est ponctué d’échanges entre les différents acteurs et conduit souvent à plusieurs relectures confiées à des cadres du service ou à des réservistes civils.   

On parle parfois, de manière familière, de la méthode dite « du rouleau compresseur » de la Brigade Criminelle. Elle s’applique parfaitement au traitement des cold cases dans le sens où aucune piste n’est négligée. Chaque hypothèse est étudiée jusqu’à ce qu’on estime qu’elle n’a pas de lien avec notre enquête. Ce travail peut parfois prendre des années.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?

Les difficultés essentielles quand on traite d’un « cold-case » sont :

  • Le manque d’éléments matériels encore disponibles quand on découvre une piste qui n’a jamais été exploitée.
  • Dans le même ordre d’idées, des aspects manquants dans les enquêtes conduites à l’époque, par exemple en matière de téléphonie (des bornages non figées par exemple)
  • La qualité des témoignages après de si nombreuses années (souvenirs altérés, décès des témoins…)
  • Une conservation des scellés souvent catastrophique, voire une destruction avant la fin du délai de prescription de l’enquête).
  • L’identification de dossiers pouvant nous être confiés mais qui n’ont pas toujours été traités par la brigade et qui nécessite donc une coopération et une vigilance de la part des autres services, afin qu’ils pensent à nous les proposer.
  • Le turn-over, aussi bien chez les enquêteurs que chez les magistrats, qui entraîne une perte de mémoire inévitable.

Comment s’organise la collaboration Police / Justice dans ces cas précis ?

La Brigade Criminelle entretient des rapports de confiance avec l’autorité judiciaire. Nos investigations s’inscrivent dans la durée lorsque cela est nécessaire et nous disposons de moyens adaptés. C’est donc généralement vers nous que se tournent les magistrats quand il s’agit de reprendre en compte un dossier ancien. Un entretien au cas par cas est privilégié. Une meilleure prise en compte des « Cold Case », à l’occasion de la création de l’UAC3, nous positionne donc idéalement, sur le ressort de la Préfecture de Police, pour être le correspondant privilégié des magistrats saisis de dossiers répondant à ces critères. On pense en particulier au futur pôle « Cold Case ».

La manière de procéder peut aussi consister en une évaluation du dossier afin de déterminer la réalité des faits avancés et la quantité de travail nécessaire et permettre ainsi de choisir le service le plus adapté. 

Par ailleurs, ces rapports de confiance favorisent l’assentiment des magistrats lorsqu’ils sont sollicités par les enquêteurs qui considèrent que de nouvelles investigations pourraient être utilement menées du fait de l’apparition d’éléments nouveaux ou de l’évolution des techniques scientifiques.

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La Brigade Criminelle de Paris en 1985 – Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quels moyens avez-vous à votre disposition ?

Les moyens à disposition sont ceux de la Brigade Criminelle ; une capacité de mobilisation d’un nombre important d’enquêteurs quand cela est jugé nécessaire.

  • Une analyse des dossiers sous des angles différents (analyse de l’enquêteur et analyse comportementale) avec l’appui de l’analyse criminelle, si cela est nécessaire.
  • Un lien étroit et « historique » avec des experts reconnus dans les différents domaines techniques d’aide à l’enquête (experts en génétique, médecine légale, anthropologie, odontologie, etc…)
  • Un engagement de moyens humains dans la durée et notamment une vigilance des enquêteurs dédiés à cette mission (UAC3) qui peuvent effectuer, à tout moment, des rapprochements entre des enquêtes qui nous sont confiées et des faits traités par d’autres services.
  • La GED (Gestion Electronique de Documents) et la documentation opérationnelle qui facilitent les recherches et recoupements.

Quels sont les progrès techniques et scientifiques qui permettent la résolution des “Cold Case” ?

Aborder les « Cold Case » c’est avant tout comprendre qu’on effectue un retour en arrière qui nous conduit à disposer des moyens qui existaient au moment des faits (pas de vidéo-protection, pas de téléphonie, sauf si elle a été sanctuarisée, …).

En revanche, en ce qui concerne l’exploitation des éléments saisis sur place, à partir du moment où ils ont été conservés dans de bonnes conditions, il est possible d’envisager des investigations complémentaires dans différents domaines :

  • Progrès considérables dans le domaine de la police scientifique (génétique, parentèle,…) permettant par exemple de retravailler certains scellés dans l’optique d’extraire des traces génétiques qui n’auraient pas pu être mises en évidence par les techniques utilisées quelques années plus tôt
  • Utilisation d’outils plus performants en matière de téléphonie.
  • Utilisation d’outil d’analyse des données numériques
  • Possibilité de traiter la procédure avec l’appui de l’analyse criminelle
  • Internet / Sources ouvertes

Quelles sont les avancées juridiques majeures en France encadrant le traitement des affaires non résolues ?

Le traitement des « Cold Case » ne répond pas à des règles juridiques particulières mais s’inscrit dans le cadre de l’enquête criminelle classique. L’avancée juridique essentielle porte sur la réforme de la prescription en matière pénale du 27 février 2017.

Il est à noter également l’importance du délai de conservation au Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (F.A.E.D.) ou au Fichier National Automatisé des Empreintes génétiques (F.N.A.E.G.) des traces non résolues ou des personnes signalisées (décrets du 2 décembre 2015 et du 29 octobre 2021).

La création d’un pôle « Cold Case » au Ministère de la Justice devrait également permettre d’identifier plus facilement des dossiers qui pourraient être relancés et d’effectuer des rapprochements.

Existe-il des collaborations internationales, des partages de
connaissances  ou compétences afin de maximiser la résolution d’une enquête ?

Il n’ y a pas, à notre connaissance, de structures internationales permettant le partage de compétences techniques ou l’échange opérationnelle dans le cadre des « Cold Case » ; pas même à un niveau européen.    

Nous disposons, dans ces dossiers des mêmes outils que pour l’ensemble des enquêtes criminelles, dès lors qu’une piste internationale voit le jour (les échanges concernant les empreintes digitales et génétiques prévus par le traité de Prüm, échanges bilatéraux par le truchement des Attachés de Sécurité Intérieure (A.S.I.), mise à contribution d’INTERPOL et d’EUROPOL, etc.)

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Exercice « attentat » diligentée par la Brigade Criminelle et le Service Régional de Police Technique et Scientifique de Paris. Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quels sont les éléments qui permettent de rouvrir une enquête ?

Une enquête peut être rouverte à partir du moment où nous disposons d’éléments nouveaux susceptibles de faire avancer les investigations. Cette décision appartient exclusivement à l’autorité judiciaire mais la Brigade Criminelle est généralement force de proposition. Le progrès scientifique et les espoirs qu’il peut faire naître peut parfois être considéré comme suffisant pour obtenir cette réouverture mais, l’étude se fait au cas par cas. La mise en place du pôle judiciaire « cold-cases » devrait pouvoir peser sur l’interprétation de cette notion « d’élément nouveau ».     

L’UAC3 rencontre rarement ce type de difficulté car la plupart des dossiers non élucidés sont conservés à la Brigade et régulièrement consultés. Ils le sont aussi dans l’attente d’un élément nouveau qui pourrait être porté à notre connaissance (dénonciation, identification d’une trace ADN retrouvée sur une scène de crime suite au prélèvement d’un mis en cause dans un dossier distinct, rapprochement avec une nouvelle affaire, rapprochement avec un suspect identifié dans un autre dossier, …) mais aussi dans l’attente d’une idée neuve des enquêteurs qui pourrait relancer le dossier.

Avez-vous des cas marquants à nous citer ?

Nous pouvons citer quelques exemples :

  • Dans une affaire de viol ou de sérialité de viols, au vu du signalement et du mode opératoire de l’auteur, vous identifiez par vos recherches (via les fichiers police Cheops, Salvac.. ) un suspect potentiel. Vous demandez par rapport à l’Autorité judiciaire la ré-ouverture de l’information, l’élément nouveau étant l’identité du suspect. Même raisonnement lorsque vos recherches amènent à vous intéresser à un autre dossier dont les éléments d’enquête ne sont guère éloignés du vôtre. Vous justifiez de l’intérêt (secteur géographique, type de victime, modus operandi, arme utilisée..) et vous sollicitez la ré-ouverture de l’autre dossier
  • L’examen d’une scène de crime au vu des photographies judiciaires, des constatations techniques, de l’analyse morphologique des traces de sang, vous amène à penser que la personne n’a pas été tuée là où le cadavre a été découvert mais dans une autre pièce du logement. Les objets ou éléments proches saisis et placés sous scellés n’ayant pas fait l’objet d’expertise, vous solliciter la ré-ouverture en justifiant de l’intérêt de l’expertise de  la (ou des) pièce à conviction proche de la vraie scène de crime..   
  • La découverte d’une pièce à conviction tardive. En vidant le logement d’une personne assassinée, le témoin découvre incidemment sous le tapis de la salle de séjour dans une cavité du plancher un couteau manifestement souillé. L’élément nouveau propre à la ré-ouverture est tout trouvé.

Est-il plus éprouvant de travailler sur un “Cold Case” que sur une affaire récente ?

S’il est difficile de répondre à cette question, il est indéniable que le travail visant les dossiers anciens nécessite des qualités particulières et se heurte à des difficultés spécifiques. Il faut être extrêmement patient car, contrairement à l’enquête de flagrant délit qui peut aboutir parfois à un résultat rapide, le « Cold Case » nécessite des investigations longues et complexes (rassembler les éléments constitutifs du dossier, retrouver les témoins, être confronté à des témoignages moins précis, rechercher des scellés). Travailler sur des « Cold Case », c’est se replonger dans les méthodes et les moyens dont disposaient les enquêteurs à l’époque des faits, très différents des méthodes actuelles (pas de téléphonie, pas de vidéo-protection, pas d’empreinte numérique,…).

Quant à l’exploitation des éléments collectés sur la scène de crime – qui peuvent avoir traversé le temps – elle se heurte au problème de conservation des scellés et, plus largement, de certains éléments du dossier qui ont  été égarés.      

Il est également plus difficile de reprendre une affaire qu’un autre service ou un autre groupe n’a pas été en mesure de résoudre. Les enquêteurs doivent faire preuve d’une motivation sans faille et d’une bonne dose d’optimisme…. 

Enfin, l’aspect charge mentale doit également être prise en compte, et peut prendre différentes formes : les faux espoirs et la déception qui s’ensuit lorsqu’une piste sérieuse s’avère finalement mauvaise ; la frustration de ne pas pouvoir apporter de réponses à la famille, …

Quelles sont les erreurs à éviter lorsque l’on travaille sur ce type d’affaire ?

Il s’agit d’essayer de faire table rase des investigations menées précédemment afin de ne pas être « pollué » par les pistes et hypothèses envisagées par les premiers enquêteurs. S’il est assez peu probable que les nouveaux enquêteurs n’aient pas la même approche ou la même analyse que leurs prédécesseurs, il est impératif qu’ils évitent de se forger une opinion trop rapidement et qu’ils acceptent d’explorer toutes les hypothèses.

Quelles sont selon vous les qualités indispensables d’un enquêteur pour travailler sur ces affaires non résolues ?

Il faut choisir des enquêteurs expérimentés et légitimes aux yeux de leurs collègues et de l’autorité judiciaire. La patience et le sens de l’organisation sont également indispensables puisqu’il faut s’immerger dans un dossier généralement lourd et complexe, traité par d’autres que soi et, il faut le faire avec méthode en associant différents acteurs et partenaires de l’enquête criminelle (experts, psychologues, enquêteurs extérieurs, etc…)   

Il faut parfaitement maîtriser tous les arcanes de l’enquête criminelle et l’écosystème qui s’y rattache afin de savoir « ce qu’on doit chercher et où le chercher… » . Enfin il faut savoir faire preuve d’humilité.

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