Entomotoxicologie : rôle des insectes dans l’investigation

  • 9 juin 2025
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Quand le corps ne parle plus, les insectes livrent la vérité. À la croisée de la toxicologie et de l’entomologie, l’entomotoxicologie fait de ces petits organismes des témoins clés capables de révéler ce que le temps tente d’effacer.

L’augmentation des décès liés à la drogue, qu’ils soient causés par une consommation accidentelle, une overdose ou une intoxication suicidaire, suscite un intérêt croissant pour la médecine légale. Comme l’indique clairement son nom, l’entomotoxicologie se situe à l’intersection de la toxicologie et de l’entomologie, deux disciplines qui peuvent apporter à la justice des éléments cruciaux pour la manifestation de la vérité. L’entomotoxicologie remplit deux rôles principaux : elle repose sur le potentiel des insectes à servir d’indicateurs de substances toxiques présentes dans les tissus en décomposition et étudie l’impact de ces substances sur le développement des arthropodes, ce qui permet d’affiner les estimations médico-légales de l’intervalle post-mortem (IPM), c’est à dire le temps écoulé entre le moment du décès et la découverte du corps. Les insectes (comme notamment les larves de mouches à viande) deviennent donc à ce stade intéressants à analyser

Les insectes au service de la vérité

Dans certains cas de décès, notamment ceux liés à l’abus de drogues ou au suicide, le corps de la victime peut rester non découvert pendant plusieurs jours ou mois. La décomposition commence immédiatement après la mort, libérant des gaz et des liquides qui génèrent des odeurs de putréfaction. Ces effluents attirent rapidement les insectes tels que les mouches, qui pondent leurs œufs dans les orifices du corps. Les larves qui en émergent se nourrissent de la chair en décomposition, accélérant ainsi le processus de dégradation [L’Entomologie médico-légale – Damien CHARABIDZE].

À mesure que la colonisation par ces insectes s’intensifie, elle accélère la décomposition progressive des tissus corporels. Cette dégradation entraîne également l’altération des fluides et tissus organiques, tels que l’urine, le sang et le foie, rendant les matrices traditionnelles utilisées pour les analyses toxicologiques médico-légales indisponibles ou inadaptées pour des résultats fiables. Les insectes (comme notamment les larves de mouches à viande) deviennent donc à ce stade intéressants à analyser.

Découverte de larves sur un corps en décomposition

Grâce à leur abondance, leur facilité de prélèvement et leur résistance aux conditions environnementales, les larves d’insectes nécrophages peuvent être récoltées dans différents endroits du corps où elles sont présentes. Ce choix est essentiel, car la redistribution ante-mortem et post-mortem des substances (médicaments, drogues, toxines) dans le corps peut varier selon les zones, conduisant ainsi à des différences de résultats qualitatifs et quantitatifs dans les insectes. Prélever plusieurs échantillons issus de zones variées améliore donc la précision et la fiabilité des résultats qualitatifs. De nombreuses études ont démontré leur potentiel à révéler des substances toxiques, là où les méthodes traditionnelles ont échoué. [1-4] A ce jour, les analyses entomotoxicologiques permettent uniquement une détection qualitative des substances toxiques présentes dans l’organisme du défunt. Cela signifie que l’on peut confirmer la présence ou l’absence d’un médicament, d’une drogue ou d’un poison dans les tissus consommés par les larves, mais pas encore en déterminer la concentration de façon fiable.

Ces résultats peuvent donc uniquement valider une hypothèse d’intoxication. En revanche, déterminer si la quantité présente était létale n’est pas encore possible car cela nécessiterait une approche quantitative plus fiable.

Par ailleurs, le toxicologue doit aussi garder à l’esprit que ces petits organismes sont capables de métaboliser les substances et de produire des métabolites similaires à ceux générés par le corps humain, malgré la complexité habituelle de ces transformations chez l’homme. Les études sur ce phénomène ne sont qu’à leurs débuts.

Les méthodes entomologiques médico-légales peuvent aider à déterminer le temps minimum écoulé entre la mort et la découverte du cadavre

Insectes drogués, datation erronée !

Lors d’une enquête criminelle, un élément clé à considérer, en particulier dans les cas où les corps sont décomposés, est l’intervalle post-mortem minimum (IPMmin). Il s’agit du temps écoulé entre le moment où les premiers insectes ont colonisé le corps et celui de sa découverte. (Fig. 1)

Fig. 1. Schéma simplifié illustrant la différence entre l’IPM et l’IPMmin.

On parle d’un minimum car cette estimation ne commence pas au moment exact du décès, mais à celui de la première colonisation par les insectes, qui survient peu après la mort, entre quelques minutes à plusieurs heures selon les facteurs environnementaux. Après la disparition de la rigidité cadavérique (rigor mortis), des lividités cadavériques (livor mortis) et de l’alignement de la température corporelle avec celle de l’environnement, il devient plus difficile d’estimer le temps écoulé depuis la mort. Le corps entre alors en phase de putréfaction, durant laquelle les méthodes entomologiques médico-légales peuvent aider à déterminer le temps minimum écoulé entre la mort et la découverte du cadavre.

Toutefois, si la victime a consommé des drogues avant son décès, cela peut avoir un impact significatif sur le développement des insectes nécrophages en accélérant ou retardant leur croissance

Les entomologistes médico-légaux mesurent la taille et étudient le stade de développement des larves présentes sur le corps et, en tenant compte de facteurs tels que la température ambiante, l’espèce d’insectes observée et les données sur la succession des espèces nécrophages [5, 6], comparent ces données avec le cycle de vie des insectes concernés. (Fig. 2) 

Fig. 2. Cycle de développement des mouches (diptères) nécrophages.

Comme certaines espèces colonisent un cadavre très rapidement après la mort, cela leur permet de déterminer le jour de la première colonisation et ainsi d’estimer un IPMmin.

Toutefois, si la victime a consommé des drogues avant son décès, cela peut avoir un impact significatif sur le développement des insectes nécrophages en accélérant ou retardant leur croissance. La comparaison avec leur cycle de vie est donc biaisée, amenant à des surestimations ou des sous estimations de l’IPMmin. C’est pourquoi, des études ont été mises en œuvre afin d’évaluer l’impact de certaines drogues sur le développement des insectes afin de pouvoir, dans le futur, prendre en compte ces intervalles de changeabilité pour estimer correctement l’IPMmin [7-12]. La façon dont les insectes transforment ou non les substances toxiques qu’ils ingèrent est encore incertaine.

Les limites de l’entomotoxicologie

Même si les insectes peuvent livrer des informations précieuses, l’entomotoxicologie n’est pas une science sans contraintes.

Tout d’abord, l’environnement joue un rôle important : le développement des insectes dépend fortement de la température, de l’humidité, du climat… Si le corps est par exemple exposé à une chaleur extrême ou au vent, la colonisation des insectes peut différer. La température ambiante influence directement la survie et le développement des insectes. Des conditions trop extrêmes peuvent les tuer ou ralentir leur croissance, faussant ou rendant impossible les analyses.

Par ailleurs, au-delà de leur développement, la colonisation des insectes peut elle aussi être perturbée. Par exemple, lorsqu’un corps est immergé dans l’eau ou recouvert (par des vêtements, des bâches, de la terre, des débris, etc.), l’accès des insectes est entravé, ce qui peut modifier la dynamique de colonisation et, par conséquent, leur manière de se nourrir du corps.

Autre challenge en entomotoxicologie : La façon dont les insectes transforment ou non les substances toxiques qu’ils ingèrent est encore incertaine. Contrairement aux humains, leur métabolisme et leur manière de stocker ou d’éliminer les substances toxiques ne sont pas bien compris.  Résultat :  il est difficile d’établir une corrélation entre la quantité de substances toxiques trouvées dans les insectes et la dose consommée par la personne décédée, rendant difficile la confirmation d’une dose létale dans l’organisme et donc la preuve et l’acceptation d’une hypothèse préalable d’intoxication mortelle.

De plus, les méthodes pour extraire, purifier et analyser les substances toxiques dans les tissus des larves d’insectes ne sont pas encore standardisées. Chaque étude doit être adaptées en fonction des substances recherchées.

Conclusion

L’entomotoxicologie médico-légale illustre donc comment les insectes peuvent devenir à l’avenir des témoins clés dans la résolution d’enquêtes criminelles. Elle ouvre des perspectives prometteuses pour la médecine légale, en élargissant le champ des possibilités lorsqu’aucun autre échantillon biologique n’est exploitable. Avec les progrès de la recherche, l’entomotoxicologie pourrait devenir un outil encore plus précis, non seulement qualitatif mais aussi quantitatif et essentiel pour contribuer à la manifestation de la vérité dans des affaires médico-légales réelles.

Bibliographie :

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  • [2] Groth, O., Franz, S., Fels, H., Krueger, J., Roider, G., Dame, T., Musshoff, F., & Graw, M. (2021). Unexpected results found in larvae samples from two postmortem forensic cases. Forensic Toxicology, 40(1), 144‑155. https://doi.org/10.1007/s11419-021-00601-x
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  • [11] Zou, Y., Huang, M., Huang, R., Wu, X., You, Z., Lin, J., Huang, X., Qiu, X., & Zhang, S. (2013). Effect of ketamine on the development of Lucilia sericata (Meigen) (Diptera : Calliphoridae) and preliminary pathological observation of larvae. Forensic Science International, 226(1‑3), 273‑281. https://doi.org/10.1016/j.forsciint.2013.01.042
  • [12] O’Brien, C., & Turner, B. (2004). Impact of paracetamol on Calliphora vicina larval development. International Journal Of Legal Medicine, 118(4), 188‑189. https://doi.org/10.1007/s00414-004-0440-9

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