Tag Archives: investigation

Symptômes post-traumatiques des personnes victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance

L’évaluation clinique et judiciaire des enfants victimes d’agressions sexuelles nécessite une connaissance approfondie du développement de l’enfant et des manifestations des symptômes post-traumatiques typiques de l’enfance et l’adolescence. Connaître les particularités symptomatiques chez l’enfant permet de distinguer les manifestations traumatiques des variations normales du développement, dans une approche qui doit impérativement respecter le monde de l’enfance.

Respecter et s’appuyer sur le monde de l’enfance

En effet, la pratique avec les enfants implique d’utiliser des médiations correspondant à des mondes enfantins, d’employer un vocabulaire et un ton adapté à l’âge et d’explorer les intérêts de l’enfant. Au-delà de l’alliance qu’ils permettent, les intérêts de l’enfant sont des indicateurs de son niveau de développement, de son environnement, de son organisation quotidienne, indicateurs riches pour l’évaluation expertale.

Prenons pour exemple, un enfant de 8 ans, scolarisé en CE2, interrogé simplement sur ses activités préférées indique jouer à la Tablette au jeu Paddington. Interrogé simplement sur la tablette et sur le jeu avec des questions comme : « qu’est-ce que tu aimes dans ce jeu ? » « Qu’est-ce que tu peux me raconter sur cette tablette ? », l’enfant indique que la tablette appartient à son père, que lui n’en pas, qu’il peut y jouer les mercredis et week-end, durant 30 minutes, dans le salon familial. Il raconte aimer cet ourson pour ses aventures, il lui est alors demandé de détailler un de ses moments préférés.

Respecter le monde de l’enfance, c’est chercher éviter le risque d’une nouvelle traumatisation lors de l’examen expertal

Les réponses de l’enfant nous permettent d’évaluer : un intérêt et une activité cohérente avec son âge, un cadre familial adapté à son âge concernant les jeux sur écran mais également sa capacité à effectuer un récit (pronoms et temps utilisés, structuration spatiale et chronologique, distinction avec la réalité…). L’analyse ne sera pas la même si le jeu pratiqué est Call of Duty, jeu de guerre, selon les versions, déconseillés au moins de 16 ou 18 ans ou si l’enfant de 8 ans a un écran dans sa chambre ou encore s’il s’agit d’un adolescent de 15 ans…

Enfin, et c’est d’après moi le plus important, respecter le monde de l’enfance, c’est chercher éviter le risque d’une nouvelle traumatisation lors de l’examen expertal. Un environnement indiquant que les enfants sont les bienvenus est judicieux : des lectures enfantines en salle d’attente, des jouets, la possibilité de s’assoir de manière confortable, de pouvoir bouger… Indiquer aux accompagnateurs de prendre un doudou ou un objet rassurant est également nécessaire. Pour en revenir à la symptomatogie post-traumatique enfantine, cette problématique prend une résonance particulière au regard d’affaires récentes comme celle de Joël Le Scouarnec, où 299 victimes identifiées présentaient des symptômes post-traumatiques significatifs malgré une absence apparente de souvenirs des agressions subies sous anesthésie.

Le cadre théorique du psychotraumatisme sexuel

Le psychisme désigne l’ensemble des phénomènes mentaux conscients et inconscients : les processus cognitifs (pensée, mémoire, perception), les processus affectifs (émotions, sentiments), les mécanismes de défense psychologiques, l’activité fantasmatique et imaginaire, les structures de la personnalité. L’évènement traumatique est une intrusion brutale dans le psychisme, dépassant les capacités de traitement et d’intégration de l’appareil mental, c’est ce qui est qualifié d’effraction traumatique.

Un enfant victime d’abus restera souvent longtemps dans la dénégation

L’effraction traumatique chez l’enfant victime d’agression sexuelle présente des caractéristiques particulières. Louis Crocq (1999) définit le psychotraumatisme comme « un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur ». Dans le cas des agressions sexuelles, cette effraction revêt une dimension non accessible à l’enfant. Comme le souligne Tardy (2015), « Un enfant victime d’abus restera souvent longtemps dans la dénégation, défense destinée à lui éviter de réaliser les troubles psychiques des adultes censés le protéger et qui l’ont en fait agressé, ce qui serait trop angoissant ».

Le syndrome de répétition, tel que décrit par Crocq (2004), constitue « un ensemble de manifestations cliniques par lesquelles le patient traumatisé revit intensément, contre sa volonté et de manière itérative, son expérience traumatique ». C’est ainsi que chez l’enfant et l’adolescent, comme chez l’adulte, de nombreux symptômes autour de la répétition ou de l’évitement de la répétition vont être observé.

Symptômes selon l’âge : une approche développementale

Les manifestations traumatiques chez les plus jeunes :

Elles sont caractérisées par des souvenirs intrusifs peu intégrés, composés essentiellement de sensations et d’émotions intenses selon les travaux de Eth, Pynoos (1985) et Pynoos, Steinberg et coll. (1995). En dehors des jeux habituels, inhérent à l’enfance, des jeux spécifiques, en lien avec l’évènement traumatique peuvent se développer. Ces jeux post-traumatiques constituent un indicateur clinique majeur : Fletcher (1996) les décrit comme « répétitifs, impliquant un élément central en lien avec l’événement, ou non lié à l’événement, moins élaborés et imaginatifs que les jeux habituels, généralement chargés d’émotions (anxiété), rigides, peu joyeux ». Ces jeux perdent leur fonction créative et exploratoire normale pour devenir compulsifs et stéréotypés.

L’hyperactivité neurovégétative et l’évitement sont des symptômes post-traumatiques habituels. Chez les enfants, ils se manifestent par une hypervigilance anxieuse, des réactions de sursaut exagérées et des troubles du sommeil avec des réveils fréquents. L’évitement se traduit par un isolement social, un émoussement affectif et une régression développementale touchant la propreté, le sommeil ou le retour de peurs infantiles. Putnam (2003) dans son étude longitudinale sur 166 enfants victimes d’agressions sexuelles, démontre que 40% développent des symptômes d’hyperactivité dans les 6 mois suivant la révélation, contre 8% dans la population générale. L’auteur explique cette hyperactivité comme un mécanisme adaptatif de fuite face aux stimuli intrusifs post-traumatiques.

Certains enfants développent des comportements lisses, n’attirant absolument pas l’attention

Les manifestations post-traumatiques chez l’enfant présentent des particularités souvent méconnues qui rendent leur identification complexe. Contrairement aux adultes, les enfants présentent fréquemment des symptômes aspécifiques selon les recherches développementales, particulièrement les enfants les plus jeunes (moins de six ans).

Dès le plus jeune âge, les troubles du rapport au corps constituent un marqueur clinique essentiel : limitation de tenues vestimentaires ou tenues sexualisées, conduites de lavage extrêmes, problème dans le rapport à sa propre nudité, manque d’investissement corporel, image dévalorisée de son corps ou certaines parties de son corps, troubles dans la relation au toucher, refus de manifestation affective. Ces manifestations corporelles sont souvent non reconnues car elles peuvent paraître anodines ou être attribuées à d’autres causes. À l’opposé de l’agitation parfois observée, certains enfants développent des comportements lisses, n’attirant absolument pas l’attention. Cette présentation inhibitrice, caractérisée par une adaptation excessive et une conformité extrême, constitue paradoxalement un signe d’alerte. Les recherches soulignent l’importance de « garder à l’esprit que certains de ces comportements sont courants dans cette tranche d’âge. Ainsi, les symptômes d’activation neuro-végétative se manifestent plutôt par une exacerbation de comportements déjà présents chez l’enfant, parfois difficilement repérable par l’entourage » (Eth, Pynoos, 1985 ; Pappagallo, Silva, Rojas, 2004).

Les enfants plus âgés (6 à 12 ans) :

En plus des symptômes précédents, ils peuvent présenter des troubles somatiques (céphalées, maux de ventre, etc.) qui, par leur caractère aspécifique, ne sont pas toujours reliés au traumatisme sexuel. Ces manifestations somatiques constituent pourtant des indicateurs cliniques importants dans le contexte d’une évaluation globale.

Chez l’enfant d’âge scolaire, les souvenirs intrusifs deviennent plus structurés mais peuvent contenir des modifications mentales protectrices minimisant la gravité de l’évènement. Les jeux post-traumatiques évoluent : ils sont « plus élaborés et sophistiqués, avec transformation de certains aspects de l’événement, introduction de dangers symboliques (monstres), implication d’autres personnes (pairs) » (Fletcher, 1996). Ces transformations témoignent d’une tentative d’élaboration psychique plus mature. L’impact scolaire devient prépondérant avec des troubles attentionnels, une chute des performances et parfois un refus scolaire anxieux ainsi qu’une perte d’estime de soi et de confiance envers les proches. Les symptômes somatiques fréquents peuvent générer une absence scolaire.

À l’adolescence :

Les dessins et jeux post-traumatiques deviennent peu fréquents, remplacés par d’autres modes d’expression de la souffrance. Les manifestations se rapprochent de celles observées chez l’adulte (Yule, 2001 ; Rojas & Lee, 2004), avec des souvenirs répétitifs, des flash-backs et un émoussement affectif, c’est-à-dire une diminution de l’intensité et de la gamme des expressions émotionnelles, marqué. L’émoussement affectif se traduit dans des expressions faciales pauvres ou figées, une voix monotone, un regard terne, peu expressif, des réponses émotionnelles inappropriées ou absentes, une capacité réduite à ressentir la joie, la tristesse, la colère. Il peut impliquer des difficultés à établir des liens affectifs, des relations interpersonnelles appauvries et une Impression de “froideur” donnée à l’entourage. Les conduites addictives avec substances (alcool, produits toxiques, drogues…) ou comportementales (jeux vidéo, vidéos pornographiques, sexualité, jeux d’argent…) et les comportements à risque (vitesse, équilibre, délinquance…) peuvent apparaître.

L’évaluation doit distinguer l’exploration sexuelle normale des manifestations pathologiques

Symptômes spécifiques aux traumatismes sexuels

Les troubles du rapport au corps sont caractéristiques et constituent un marqueur spécifique des traumatismes physiques et sexuels. Globalement, la sexualisation du vocabulaire et des conduites est un indicateur, encore plus notable, si le changement est soudain.

Les Comportements Sexuels Problématiques (CSP) constituent une manifestation spécifique particulièrement importante à identifier. Selon l’ATSA (Association of the Treatment of Sexual Abusers), les CSP sont définis comme des « comportements, de nature sexuelle, manifestés par un enfant, qui sont considérés comme inappropriés en fonction de son âge et de son niveau de développement » et qui peuvent être « néfastes pour lui-même ou pour les autres enfants impliqués ».

Les CSP sont définis jusqu’à 12 ans et leur évaluation nécessite une connaissance du développement sexuel de l’enfant et l’adolescent et d’un vocabulaire adapté à son âge. Cette définition s’inscrit dans une approche développementale où l’évaluation doit distinguer l’exploration sexuelle normale des manifestations pathologiques. Selon Chaffin et coll. (2006), les comportements sexuels sont considérés comme problématiques selon six critères : ils surviennent à une « fréquence ou une intensité élevée », « interfèrent avec le développement social ou cognitif de l’enfant », « intègrent la force, la coercition ou l’intimidation », sont « associés à des blessures physiques ou à une détresse émotionnelle », « surviennent entre des enfants de stade développemental différent », et « persistent malgré les interventions d’un adulte ». Les CSP peuvent inclure des attouchements sur d’autres enfants, une masturbation excessive, des connaissances sexuelles inadaptées au développement, ou des conduites hypersexualisées.

Symptômes à l’âge adulte :

Les recherches longitudinales démontrent la persistance des symptômes à l’âge adulte. Une étude britannique sur 2232 sujets de 18 ans révèle un risque majoré de troubles psychiatriques : 29,2% de dépression caractérisée, 22,9% de troubles des conduites, 15,9% de dépendance à l’alcool, 8,3% d’automutilations et 6,6% de tentatives de suicide.

L’impact sur la vie conjugale est particulièrement documenté. Selon Gérard (2014), près de 60% des adultes victimes d’abus sexuels dans l’enfance vivent une situation d’isolement conjugal ; 20% n’ont jamais pu s’inscrire dans une relation durable. Les difficultés relationnelles se caractérisent par une oscillation paradoxale entre méfiance excessive et dépendance, des troubles sexuels polymorphes (« hypersexualité ou manque de libido, absence de plaisir, douleurs, comportements sexuels à risque »), et la recherche d’un partenaire “réparateur” générant frustrations intenses. Chez les femmes, des troubles menstruels spécifiques sont fréquemment observés dès la puberté : irrégularités, douleurs, aménorrhée, dégoût.

Parmi les symptômes observés dans le cadre expertal chez les adultes ayant été victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance, on retrouve les symptômes observés chez les enfants : comme des comportements masturbatoires persistants développés dans l’enfance, à la période des faits ou de leur révélation ; des somatisations évitantes, des troubles attentionnels… C’est le recueil de ces symptômes qui va pouvoir indiquer une cohérence avec des faits décrits dans le cadre de l’expertise psychologique. Par ailleurs, pour la personne victime, cette analyse pourra permettre de donner un sens à des conduites incomprises et parfois réprouvées.

Il n’est pas nécessaire de se souvenir pour souffrir de troubles post-traumatiques

L’affaire Scouarnec : symptômes sans souvenirs

L’affaire Scouarnec illustre parfaitement la problématique des symptômes post-traumatiques en l’absence de souvenirs conscients. Les 299 victimes identifiées, majoritairement mineures et agressées sous anesthésie, présentaient des manifestations symptomatiques avant même la révélation des faits par les enquêteurs. Amélie Lévêque témoigne : « J’avais tellement de séquelles en fait de cette opération qui étaient là, mais que personne n’expliquait ». Ces séquelles incluaient phobies médicales, troubles alimentaires et « le sentiment diffus que quelque chose d’anormal avait eu lieu ». Les experts au procès ont confirmé que « il n’est pas nécessaire de se souvenir pour souffrir de troubles post-traumatiques ».

Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre et médecin légiste, explique cette “mémoire du corps” : « Le corps parle et moins nous sommes dans la conscience d’un événement douloureux ou stressant, plus son impact sur le corps sera fort ». Même en état de conscience altéré, l’impact traumatique persiste, générant des symptômes durables sans souvenir explicite.

Implications cliniques et perspectives

Cette réalité clinique souligne l’importance d’une évaluation multidimensionnelle respectant les particularités développementales. L’expertise doit intégrer l’observation des jeux et intérêts selon l’âge, l’évaluation de l’inscription sociale et scolaire, et la capacité de projection positive dans l’avenir. L’affaire Scouarnec démontre que l’absence de souvenirs conscients n’exclut nullement l’existence d’un traumatisme et de ses conséquences durables. Cette compréhension s’avère essentielle pour une évaluation clinique symptomatologique, notamment chez les jeunes enfants ou les personnes ayant vécu des traumatismes sexuels avant 6 ans.

Bibliographie :

Crocq, L. (2004). Traumatismes psychiques : Prise en charge psychologique des victimes. Paris : Masson.

Tardy, M.-N. (2015). Chapitre 8. Vécu de l’enfant abusé sexuellement. Dans M.-N. Tardy (dir.), La maltraitance envers les enfants. Les protéger des méchants (pp. 123-150). Paris : Odile Jacob.

Drell, M. J., Siegel, C. H., Gaensbauer, T. J. (1993). Post-traumatic stress disorder. Dans C. H. Zeanah (dir.), Handbook of infant mental health (pp. 291-304). New York : Guilford Press.

Fletcher, K. E. (1996). Childhood posttraumatic stress disorder. Dans E. J. Mash & R. A. Barkley (dir.), Child psychopathology (pp. 242-276). New York : Guilford Press.

Frank W. Putnam, Ten-Year Research Update Review: Child Sexual Abuse, Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, Volume 42, Issue 3, 2003, Pages 269-278,

Pynoos, R. S., Steinberg, A. M., Wraith, R. (1995). A developmental model of childhood traumatic stress. Dans D. Cicchetti & D. J. Cohen (dir.), Developmental psychopathology (Vol. 2, pp. 72-95). New York : Wiley.

Scheeringa, M. S., Zeanah, C. H. (2003). Symptom expression and trauma variables in children under 48 months of age. Infant Mental Health Journal, 24(2), 95-105.

Yule, W. (2001). Post-traumatic stress disorder in the general population and in children. Journal of Clinical Psychiatry, 62(17), 23-28.

Gérard, C. (2014). Conséquences d’un abus sexuel vécu dans l’enfance sur la vie conjugale des victimes à l’âge adulte. Carnet de notes sur les maltraitances infantiles, 3, 42-48. DOI : 10.3917/cnmi.132.0042

Chaffin, M., Letourneau, E., Silovsky, J. F. (2002). Adults, adolescents, and children who sexually abuse children: A developmental perspective. Dans J. E. B. Myers, L. Berliner, J. Briere, C. T. Hendrix, C. Jenny, & T. A. Reid (dir.), The APEAC handbook on child maltreatment (2e éd., pp. 205-232). Thousand Oaks, CA : Sage.

Chaffin, M., Berliner, L., Block, R., Johnson, T. C., Friedrich, W. N., Louis, D. G., … & Silovsky, J. F. (2006). Report of the ATSA task force on children with sexual behavior problems. Child Maltreatment, 11(2), 199-218.

Gury, M.-A. (2021). Pratique de l’expertise psychologique avec des enfants dans le cadre judiciaire pénal. Psychologues et Psychologies, 273, 24-26.

France Info (6 mars 2025). Procès de Joël Le Scouarnec : une affaire “entrée par effraction” dans la vie de nombreuses victimes, sans souvenirs d’actes subis sous anesthésie.

France 3 Bretagne (14 avril 2025). Procès le Scouarnec : “même sans souvenirs, on peut souffrir de troubles post-traumatiques”. consultable ici.

Pôle fédératif de recherche et de formation en santé publique Bourgogne Franche-Comté (2025). Aide au diagnostic et au repérage ajusté du comportement sexuel problématique chez l’enfant. Projet de recherche AIDAO-CSP.

Quand la forêt cache la vérité : comment le LiDAR aéroporté peut aider les enquêteurs en cas de disparition

Des disparitions difficiles à élucider :

Chaque année en France, près de 40 000 personnes sont signalées disparues. En 2022, l’association ARPD a comptabilisé 60 000 « disparitions inquiétantes », dont 43 200 mineurs ; environ 1 000 dossiers restent, en pratique, sans solution [1,2]. Avec le temps, la probabilité de retrouver une personne disparue, vivante ou simplement ses restes, chute drastiquement. La densité végétale des sous-bois voire des forêts constitue alors un obstacle majeur, rendant inefficaces aussi bien l’observation aérienne que les capacités olfactives des chiens de recherche [3]. Dans les territoires ultra-marins comme la Martinique, les disparitions sont également nombreuses et la topographie des principales zones de disparition sont un véritable frein aux battues et à l’utilisation de moyens plus conventionnels pour rechercher une personne disparue [4,5]. Des télépilotes de drones de la Gendarmerie Nationale sont souvent requis pour des recherches mais les drones utilisés ne sont équipés que d’un capteur optique qui peine à détecter quoi que ce soit au travers de la végétation. Malgré tout, les drones ne sont pas inutiles en termes de missions de sauvetage, leur utilisation est très répandue aux Etats-Unis pour localiser des personnes accidentées dans la nature, pour leur transmettre un moyen de communication voire des médicaments ou des provisions [6–8]. Lorsque la canopée et la végétation dense rendent les recherches classiques inefficaces, une alternative s’impose : le LiDAR (Light Detection And Ranging). Déjà éprouvé dans de nombreux domaines dont l’archéologie, il pourrait apporter une véritable valeur ajoutée aux enquêtes judiciaires en milieu forestier [9–11].

Le pari du LiDAR

Le capteur LiDAR envoie jusqu’à 240 000 impulsions laser par seconde ; il mesure le temps que met chaque rayon à revenir à l’émetteur après avoir heurté un obstacle, reconstituant un nuage de points 3D [12]. Même si un gros pourcentage des faisceaux rebondit sur les feuilles, le reste atteint le sol et dessine son relief. On peut sélectionner une tranche de hauteur précise, par exemple, entre 15 et 50 cm au-dessus du sol supprimant de facto la canopée. Cette sélection donne accès aux différents volumes présents. Un corps ou un objet peuvent s’y distinguer du relief naturel [13].

Un test grandeur nature en Isère

En avril 2024, une équipe composée d’un anthropologue judiciaire et d’un spécialiste du télé pilotage et du capteur LiDAR a installé un volontaire allongé dans un bosquet de Montbonnot-Saint-Martin (Isère) ; afin de vérifier si un corps humain pouvait laisser une signature détectable par le capteur et ce malgré une densité de végétation importante. Le terrain, de 0,8 ha, recensait 721 arbres/ha et affichait un indice de végétation par différence normalisée (NDVI) entre +0,6 et +1, preuve d’une canopée particulièrement épaisse [13–15].

Deux capteurs LiDAR

Capteur (DJI)Échos max./pointVitesse de vol% de points « sol »Verdict
Zenmuse L131,9 m/s0,11 %Le corps est difficilement repérable
Zenmuse L252 m/s0,26 %Silhouette détectée en quelques clics

A la manière d’un GPS (Global Positioning System), l’écran de la radiocommande du drone permet d’avoir une vue au zenith de la zone de recherche. Lorsqu’une mission est programmée, une aire est renseignée et le logiciel du drone trace la route qu’il devra emprunter. Le drone avance en ligne droite puis arrivé à la limite de la zone opère une rotation à 90° avance, fait une nouvelle rotation de 90° et poursuit sa course dans le sens inverse. Lorsque le drone revient sur ses pas, le rayonnement du LiDAR recouvre le précédent passage permettant une acquisition sur et sous la canopée plus importante (figure 1).

Recherche de personnes en cas de disparition

Figure 1 : Schématisation du parcours d’un drone. Les bandes grises représentent les zones scannées par le LiDAR. Les zones gris foncé représente le recouvrement du faisceau qui s’opère à chaque passage du drone.

Le test démontre que, même sous canopée dense, un LiDAR de dernière génération peut capter suffisamment de points au sol pour détecter un corps en surface

À l’issue d’un vol de 7 minutes, les données sont importées dans DJI Terra Pro puis TerraSolid. Le filtrage sur la tranche 0,15–0,50 m met en évidence une sur-densité caractéristique à l’emplacement du volontaire. La comparaison avec une acquisition témoin sans corps permet de distinguer les anomalies naturelles (rochers, souches) et de préparer une matrice de vrais/faux positifs destinée à mesurer la robustesse statistique de l’alerte.

Météo, règlementation : les freins du terrain

Le test démontre que, même sous une canopée dense, un LiDAR de dernière génération peut capter suffisamment de points au sol pour détecter un corps en surface (figure 2). La sélection d’une bande de hauteur adaptée est essentielle pour réduire le bruit issu des rochers ou troncs. Les conditions météorologiques (pluie, brouillard, vent > 30 km/h) restent limitantes, tout comme l’autonomie du drone et les contraintes réglementaires de distance.

Recherche de personnes en cas de disparition

Figure 2 : A : acquisition sans corps disposé au sol, B : acquisition avec disposition au sol du volontaire.

L’intérêt est d’évaluer jusqu’à quel degré de décomposition les corps laisse une signature détectable par le LiDAR

Et pour la suite ?

Le LiDAR aéroporté offre un outil non destructif pour localiser des restes humains sous la végétation et documenter la topographie d’une scène en trois dimensions avant toute fouille, garantissant un accès en toute sécurité au corps. Son déploiement rapide (matériel léger, un à deux opérateurs) représente une alternative moins coûteuse et plus sûre que les battues humaines ou les vols hélicoptère dans un relief difficile.

Dans un premier temps, les recherches s’orientent plus sur la détection de corps de volontaires vivants mais pour les cas où les personnes sont supposées décédées, les tests devront être effectués sur des corps en état de décomposition. L’intérêt est d’évaluer jusqu’à quel degré de décomposition les corps laisse une signature détectable par le LiDAR. Ce genre de recherche ne peut avoir lieu en France à ce jour, des collaborations avec des laboratoires étrangers sont donc envisagées. Une autre possibilité serait de compléter l’utilisation du LiDAR avec d’autres capteurs comme les capteurs thermographiques ou multispectraux. Le capteur thermographique permettrait de détecter des sources de chaleurs liées à l’activité entomologique sur le corps [16]. Les capteurs multispectraux permettraient de détecter les modifications chimiques du sol ou de la végétation au fil du temps toujours en lien avec la putréfaction des corps [17,18].

En l’espace de quelques heures seulement, un simple nuage de points bruts se transforme en zone prioritaire à explorer

En conclusion

Cette étude démontre qu’un pourcentage infime de points “au sol” peut suffire à révéler la présence d’un corps dans une végétation habituellement considérée comme impénétrable. En l’espace de quelques heures seulement, un simple nuage de points bruts se transforme en zone prioritaire à explorer, réduisant à la fois l’étendue des recherches et l’attente anxieuse des familles. Reste à confirmer ces résultats sur d’autres types de forêts et avec de véritables donneurs, mais le LiDAR ouvre déjà une brèche dans l’opacité des disparitions.

Les résultats confirment que les capteurs LiDAR aéroportés sont capables de mettre en évidence la présence d’un corps dans des environnements fortement végétalisés. Dans les conditions les plus denses, la densité de points au sol a atteint 0,26 %. L’étude met en lumière la nécessité de perfectionner les techniques de post-traitement, en particulier la sélection des points du nuage et l’élaboration d’analyses de vrais/faux positifs, afin d’optimiser la fiabilité de la détection. Enfin, l’intégration de capteurs complémentaires, tels que les capteurs thermiques ou multispectraux, apparaît comme une piste prometteuse pour identifier plus finement les anomalies thermiques et les marqueurs chimiques associés à la décomposition.

Bibliographie

[1] ARPD | ARPD, (n.d.). https://www.arpd.fr/fr (accessed February 28, 2024).

[2] M. de l’Intérieur, Disparitions inquiétantes, http://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-dossiers/2015-Dossiers/L-OCRVP-au-caeur-des-tenebres/Disparitions-inquietantes (accessed April 17, 2024).

[3] U. Pietsch, G. Strapazzon, D. Ambühl, V. Lischke, S. Rauch, J. Knapp, Challenges of helicopter mountain rescue missions by human external cargo: Need for physicians onsite and comprehensive training, Scandinavian Journal of Trauma, Resuscitation and Emergency Medicine 27 (2019). https://doi.org/10.1186/s13049-019-0598-2.

[4] C. Gratien, La mort de Benoit Lagrée officiellement reconnue, Martinique La 1ère (n.d.).

[5] Disparition de Marion à la Dominique : où en sont les recherches ?, guadeloupe.franceantilles.fr (2024). https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/faits-divers/disparition-de-marion-a-la-dominique-ou-en-sont-les-recherches-976553.php (accessed October 25, 2024).

[6] C. Van Tilburg, First Report of Using Portable Unmanned Aircraft Systems (Drones) for Search and Rescue, Wilderness & Environmental Medicine 28 (2017) 116–118. https://doi.org/10.1016/j.wem.2016.12.010.

[7] Y. Karaca, M. Cicek, O. Tatli, A. Sahin, S. Pasli, M.F. Beser, S. Turedi, The potential use of unmanned aircraft systems (drones) in mountain search and rescue operations, The American Journal of Emergency Medicine 36 (2018) 583–588. https://doi.org/10.1016/j.ajem.2017.09.025.

[8] H.B. Abrahamsen, A remotely piloted aircraft system in major incident management: Concept and pilot, feasibility study, BMC Emergency Medicine 15 (2015). https://doi.org/10.1186/s12873-015-0036-3.

[9] J.C. Fernandez-Diaz, W.E. Carter, R.L. Shrestha, C.L. Glennie, Now You See It… Now You Don’t: Understanding Airborne Mapping LiDAR Collection and Data Product Generation for Archaeological Research in Mesoamerica, Remote Sensing 6 (2014) 9951–10001. https://doi.org/10.3390/rs6109951.

[10]    T.S. Hare, M.A. Masson, B. Russell, High-Density LiDAR Mapping of the Ancient City of Mayapán, Remote. Sens. 6 (2014) 9064–9085.

[11]    N.E. Mohd Sabri, M.K. Chainchel Singh, M.S. Mahmood, L.S. Khoo, M.Y.P. Mohd Yusof, C.C. Heo, M.D. Muhammad Nasir, H. Nawawi, A scoping review on drone technology applications in forensic science, SN Appl. Sci. 5 (2023) 233. https://doi.org/10.1007/s42452-023-05450-4.

[12]    Zenmuse L2, DJI (n.d.). https://enterprise.dji.com.

[13]    P. Nègre, K. Mahé, J. Cornacchini, Unmanned aerial vehicle (UAV) paired with LiDAR sensor to detect bodies on surface under vegetation cover: Preliminary test, Forensic Science International 369 (2025) 112411. https://doi.org/10.1016/j.forsciint.2025.112411.

[14]    S. Li, L. Xu, Y. Jing, H. Yin, X. Li, X. Guan, High-quality vegetation index product generation: A review of NDVI time series reconstruction techniques, International Journal of Applied Earth Observation and Geoinformation 105 (2021) 102640. https://doi.org/10.1016/j.jag.2021.102640.

[15]    Z. Davis, L. Nesbitt, M. Guhn, M. van den Bosch, Assessing changes in urban vegetation using Normalised Difference Vegetation Index (NDVI) for epidemiological studies, Urban Forestry & Urban Greening 88 (2023) 128080. https://doi.org/10.1016/j.ufug.2023.128080.

[16]    J. Amendt, S. Rodner, C.-P. Schuch, H. Sprenger, L. Weidlich, F. Reckel, Helicopter thermal imaging for detecting insect infested cadavers, Science & Justice 57 (2017) 366–372. https://doi.org/10.1016/j.scijus.2017.04.008.

[17]    J. Link, D. Senner, W. Claupein, Developing and evaluating an aerial sensor platform (ASP) to collect multispectral data for deriving management decisions in precision farming, Computers and Electronics in Agriculture 94 (2013) 20–28. https://doi.org/10.1016/j.compag.2013.03.003.

[18]    R.M. Turner, M.M. MacLaughlin, S.R. Iverson, Identifying and mapping potentially adverse discontinuities in underground excavations using thermal and multispectral UAV imagery, Engineering Geology 266 (2020). https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2019.105470.

Comment la nature trahit la présence d’un cadavre ?

Une approche biologique pour détecter les tombes illégales

Dans le cadre d’un projet expérimental mené à Bogotá, deux fosses simulant des sépultures clandestines ont été creusées, l’une vide, l’autre contenant un cadavre de porc, substitut standard aux corps humains en science forensique. Les chercheurs ont collecté et analysé des échantillons de sol à différentes profondeurs pour y étudier la composition fongique et palynologique. L’objectif de l’étude était de déterminer si la présence de restes organiques décomposés modifie la communauté microbienne et végétale du sol, et si ces signatures biologiques pouvaient servir d’indicateurs temporels et spatiaux dans les enquêtes criminelles.

Une richesse fongique et pollinique révélatrice

Les résultats montrent que le sol des fosses contenant un cadavre présente une plus grande diversité de champignons, notamment des espèces comme Fusarium oxysporum ou Paecilomyces, dont la fréquence augmente en présence de décomposition. Ces organismes, capables de dégrader des composés riches en azote comme la kératine, pourraient indiquer l’existence de restes organiques enfouis.

Structures du champignon Fusarium oxysporum observées au microscope optique. A et B : macroconidies, C : chlamydospores. © David Esteban Duarte-Alvarado

Côté palynologie, les grains de pollen identifiés à 50 cm de profondeur, notamment Borago officinalis, Poa sp. et Croton sonderianus sont typiques de la saison sèche. En revanche, les pollens prélevés à 30 cm sont liés à la saison humide. Cette disposition successive permettrait de dater la période d’enfouissement et d’exhumation.

Intégrer la biologie du sol dans les enquêtes judiciaires

Cette étude est la première à apporter des données expérimentales sur la mycologie et la palynologie dans un contexte tropical équatorial, jusqu’alors peu exploré en science forensique. Elle ouvre la voie à une intégration plus systématique de ces disciplines dans l’analyse des scènes de crime impliquant des sépultures clandestines ou la recherche de corps enfouis. Bien que ces résultats soient préliminaires, ils démontrent la pertinence d’approches biologiques complémentaires aux méthodes médico-légales classiques, notamment dans des régions où les conditions climatiques modifient les dynamiques de décomposition.

Conclusion

Cette étude s’inscrit dans un champ de recherches plus large sur les indices biologiques laissés par des cadavres enfouis. Après les arbres et leurs racines qui peuvent signaler une présence souterraine anormale, ce sont ici les champignons et les pollens qui deviennent témoins silencieux des morts clandestines. Cette approche microbiologique vient enrichir les outils de l’archéologie forensique, telle que pratiquée par les experts de la gendarmerie nationale. En croisant les indices biologiques invisibles à l’œil nu avec les techniques classiques de fouilles et d’analyse stratigraphique, elle permet une lecture plus fine du sol et de son histoire criminelle.

Référence :
Tranchida, M. C., et al. (2025). Mycology and palynology: Preliminary results in a forensic experimental laboratory in Colombia, South America. Journal of Forensic Sciences.
Article complet disponible ici.

Photogrammétrie, Lasergrammétrie et Intelligence Artificielle : une révolution technologique

La criminalistique et les interventions d’urgence vivent actuellement une période charnière marquée par l’intégration croissante de technologies avancées telles que la photogrammétrie, la lasergrammétrie (LiDAR) et l’intelligence artificielle (IA). Ces technologies apportent non seulement une précision et une efficacité sans précédent mais ouvrent aussi de nouvelles perspectives d’investigation et d’intervention, modifiant profondément les méthodologies traditionnelles.

Photogrammétrie et Lasergrammétrie : des outils de précision

En qualité d’expert topographe et officier spécialiste de l’unité drone du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Haute-Savoie (SDIS74), j’ai constaté directement comment ces outils améliorent la précision des relevés topographiques et facilitent l’analyse rapide des scènes complexes. La photogrammétrie permet la reconstruction en 3D d’environnements divers en utilisant des images aériennes capturées par des drones équipés de caméras haute résolution. Cela génère rapidement des modèles numériques de terrains détaillés, essentiels dans les interventions urgentes ou criminelles où chaque détail compte.

Levé de route par méthode photogrammétrique, en vraie coloration. Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

Il est possible d’atteindre des niveaux de détail extrêmement élevés, permettant par exemple d’identifier des traces de pas par la profondeur laissée dans le sol.

La lasergrammétrie (LiDAR) complète efficacement la photogrammétrie en offrant une précision millimétrique grâce à l’émission de faisceaux laser qui scannent et modélisent l’environnement en trois dimensions. Cette technologie est particulièrement efficace dans les contextes complexes comme les zones boisées denses, les falaises abruptes ou les reliefs montagneux escarpés, où la photogrammétrie peut parfois rencontrer des difficultés à capturer tous les détails nécessaires.

Pour préciser davantage, le LiDAR présente généralement plus de bruit sur les terrains nus et les surfaces dures par rapport à la photogrammétrie, qui reste l’outil à privilégier dans ces cas-là. En revanche, dans les zones boisées, le LiDAR peut ponctuellement atteindre le sol et fournir ainsi des informations cruciales sur le relief, là où la photogrammétrie pourrait échouer.

La photogrammétrie ne fonctionne que de jour puisqu’elle exploite les données photographiques dans le spectre visible.

Suivant les altitudes de vol choisies et le type de capteur utilisé, il est possible d’atteindre des niveaux de détail extrêmement élevés, permettant par exemple d’identifier des traces de pas par la profondeur laissée dans le sol. Ces technologies sont d’ores et déjà employées pour figer précisément des scènes de crime. Traditionnellement, des scanners statiques étaient utilisés à cet effet, mais les drones permettent d’élargir considérablement le périmètre de captation tout en assurant une rapidité accrue. Cette rapidité est cruciale car il est souvent impératif de figer rapidement la scène avant tout changement météorologique.

Cependant, il est important de noter que la photogrammétrie ne fonctionne que de jour puisqu’elle exploite les données photographiques dans le spectre visible.

Levé topographique par méthode LIDAR et colorié selon les altitudes. Végétation différenciée en vert. Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

L’intelligence Artificielle : vers une analyse automatisée et performante

La véritable révolution réside dans l’intégration de ces relevés géospatiaux à des systèmes intelligents capables d’analyser massivement des données visuelles avec rapidité et précision. À cet égard, le projet OPEN RESCUE, développé par ODAS Solutions en partenariat avec le SDIS74 et l’Université Savoie Mont-Blanc, constitue un cas exemplaire. Cette IA est alimentée par un jeu de données exceptionnel de près de 1,35 million d’images collectées grâce à différents types de drones (DJI Mavic 3, DJI Matrice 300, Phantom 4 PRO RTK, etc.) dans une diversité remarquable d’environnements, couvrant toutes les saisons.

Illustration des capacités d’OPEN RESCUE : une personne isolée l’hiver en montagne. Crédit : Arnaud STEPHAN – ODAS SOLUTIONS

La robustesse de l’IA OPEN RESCUE se traduit par un F1-score maximal de 93,6 %, un résultat remarquable validé par des opérations de terrain réelles. Le F1-score est un indicateur statistique utilisé pour mesurer la précision d’un système d’intelligence artificielle : il combine la précision (le nombre d’éléments correctement identifiés parmi toutes les détections) et le rappel (le nombre d’éléments correctement identifiés parmi tous ceux présents). Un score élevé signifie donc que l’IA parvient efficacement à détecter correctement un grand nombre d’éléments pertinents tout en évitant les fausses détections. Ce système intelligent est capable de détecter avec précision des individus ainsi que des indices indirects de présence humaine tels que vêtements abandonnés, véhicules immobilisés ou objets personnels, offrant ainsi une assistance précieuse et immédiate aux équipes de secours.

Captation des données d’entrainement OPEN RESCUE avec des pompiers du SDIS74 – Crédit : Arnaud STEPHAN – ODAS SOLUTIONS

L’arrivée de cette technologie transforme radicalement la façon dont les équipes mènent leurs recherches : à présent, il devient possible de ratisser méthodiquement et largement des zones entières, avec la possibilité de s’assurer qu’aucun élément pertinent n’a été identifié par l’IA dans ces zones. Bien que cela ne remplace pas les équipes cynophiles ni les autres méthodes traditionnelles, l’intelligence artificielle apporte une exhaustivité nouvelle et complémentaire à la démarche de recherche.

L’arrivée de cette technologie transforme radicalement la façon dont les équipes mènent leurs recherches.

Applications pratiques et résultats opérationnels

Sur le terrain, l’efficacité de ces technologies est largement démontrée. Les drones autonomes utilisés par notre unité peuvent couvrir efficacement jusqu’à 100 hectares en environ 25 minutes, avec un traitement des images réalisé quasiment en temps réel par OPEN RESCUE. Cela permet une réponse extrêmement rapide, garantissant une gestion optimale du temps critique lors des interventions d’urgence et des recherches de personnes disparues.

En outre, la capacité à documenter précisément les zones parcourues lors des opérations apporte un avantage significatif dans les contextes judiciaires. La possibilité d’utiliser ces modèles 3D précis et ces données analysées automatiquement comme preuves devant des tribunaux offre une transparence accrue aux procédures judiciaires et facilite grandement le travail des magistrats, enquêteurs et avocats.

Drone Matrice 300 DJI en vol en zone montagneuse – Crédit : Arnaud STEPHAN – LATITUDE DRONE

Contraintes d’exploitation et cadre réglementaire

L’utilisation opérationnelle des drones et de ces technologies avancées est soumise à plusieurs contraintes réglementaires strictes, notamment en termes d’autorisations de vol, de respect de la vie privée, de gestion des données et de sécurité aérienne. En France, les drones sont réglementés par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) qui impose des scénarios de vol spécifiques et des protocoles précis à suivre lors des missions.

De plus, les contraintes techniques d’exploitation incluent la nécessité d’avoir des pilotes formés et régulièrement entraînés, capables de gérer des missions en toute sécurité et efficacité. Enfin, tous les six mois environ, du nouveau matériel innovant voit le jour, apportant constamment des améliorations significatives telles que des vitesses de captation accrues, des capteurs optiques et thermiques de meilleure qualité, ainsi que la miniaturisation des systèmes LiDAR embarqués.

Conclusion

En définitive, l’intégration croissante des technologies avancées constitue une avancée déterminante dans les sciences forensiques et les interventions d’urgence, malgré les contraintes opérationnelles et réglementaires à considérer. Leur application pratique améliore non seulement l’efficacité et la rapidité des opérations mais ouvre aussi de nouvelles possibilités d’analyse judiciaire, confirmant ainsi leur rôle essentiel dans la sécurité publique et la justice moderne.